L’Église de J-C à l’ère des entrepreneurs ecclésiastiques

Depuis quelques années, le nombre de pasteurs qui décrochent et quittent soudainement leur fonction pour cause d’épuisement ne cesse d’augmenter. Comment expliquer ce phénomène? Pourquoi des hommes pleins de bonne volonté n’arrivent-ils tout simplement plus à persévérer dans cette sainte vocation? Que se passe-t-il?

Deux raisons possibles

Premièrement, il y a eu un détournement de la formation pastorale selon une perspective strictement biblique vers une culture de formation partiellement sécularisée qui forme plutôt des entrepreneurs ecclésiastiques. Autrement dit, nous ne formons plus des pasteurs, mais des leaders. Deuxièmement, l’autre raison est une conséquence résiduelle causée par ce détournement malheureux. Ce que je veux dire, c’est qu’en formant des entrepreneurs ecclésiastiques, on a mis au monde une génération de pasteurs-leaders obnubilés par l’appétit du succès et la possession du pouvoir, un appétit potentiellement ravageur qui conduit à la négligence de la véritable passion pastorale qui consiste à prendre soin des âmes.

Entrepreneur ou berger?

Les formations en leadership viennent embrouiller l’essence même de la vocation pastorale, et ce, au point où plusieurs de ceux qui sont appelés au ministère y renoncent. Dans l’univers de l’apôtre Paul, la vocation pastorale était confiée à des « hommes fidèles et capables[1]» spirituellement. Aujourd’hui, on mise sur des leaders au charisme indéniable qui devront se montrer « fidèles et capables » de rentabiliser l’investissement financier rattaché au projet d’implantation dont ils ont la charge.

On délaisse le lexique biblique au profit d’un lexique séculier qui ne sait pas nommer les choses comme la Bible les nomme. Bien sûr, le mot « leader » sonne tellement plus « winner » que le mot « berger » ou « pasteur ». Que voulez-vous, capitalisme oblige, il faut parler le langage de la rentabilité si on veut engranger des profits.

On impose à ces hommes des plans structuraux de croissance qui les forcent à gérer l’Église comme un business dont la rentabilité se mesurera par la quantité de nouveaux membres. Ils doivent être des conquérants compétents, performants, consistants et pertinents. Ils doivent exceller en leadership, en cure d’âme, en théologie, en administration, mais aussi, ils doivent maîtriser l’art de divertir la foule dominicale parce qu’une partie de cette foule veut être divertie plutôt qu’instruite. On exige d’eux qu’ils soient des modèles de compassion, d’amour, de miséricorde, de pardon, de grâce, d’humilité et plein d’humanité, tout en étant disponibles, bienveillants, gentils, accessibles, sans négliger d’être de parfaits époux et des pères de famille exemplaires. Ouf!!!  En fait, ce n’est pas l’appel de Dieu qui les épuise, mais la lourdeur institutionnelle du capitalisme malveillant qu’on ajoute à leur charge.

Obnubilé par la passion du succès

La seconde raison qui pose problème est la conséquence résiduelle directe de tout ce qui vient d’être dit. Les plans de croissance qu’on impose aux pasteurs les propulsent dans des scénarios rocambolesques où l’atteinte du succès est l’unique condition qui leur permet de prouver leur valeur. Le succès, la réussite et l’exercice du pouvoir sont des feux dévorants qui consument tout ce qu’il y avait de vrai et de pur dans le cœur de ces hommes bien intentionnés au départ. Si dans le monde de l’apôtre Paul, on formait des disciples qui rayonnaient la présence et la gloire de Dieu, dans notre monde à nous, on forme des leaders capables de rayonner de leur propre lumière. Eh oui, on a mis au monde cette génération de leaders obnubilés par la passion du succès parce qu’on les a formés à rechercher le succès.

Le meilleur modèle à suivre, c’est Jésus

Observez Jésus et vous trouverez en lui le meilleur modèle de ce qu’est un bon berger. Un bon berger n’a pas besoin d’être un super leader, il a seulement besoin d’être présent au milieu de sa communauté et connaître chacune de ses brebis.

« 14 Moi, je suis le bon berger ; je connais mes brebis et mes brebis me connaissent, 15 tout comme le Père me connaît et que je connais le Père. Je donne ma vie pour mes brebis.[2] »

Malgré l’énormité de sa mission salvatrice, Jésus prenait le temps de s’arrêter « en chemin » pour bénir, parler et guérir ceux qui venaient à lui. Alors que notre mission est immensément moins importante que celle de notre sauveur J-C, nous arrivons à peine à réserver un peu de temps pour s’occuper de ceux qui ont le cœur brisé au milieu de nous. Comment se fait-il que nous soyons trop spirituellement occupés pour prendre le moindre soin des brebis qui nous sont confiées? Aux yeux du Seigneur, n’est pas grand celui qui se tient avec les plus grands, mais grand est celui qui s’occupe des plus petits. C’est Jésus qui le dit :

« 46 Or, une pensée leur vint à l’esprit, savoir lequel d’entre eux était le plus grand. 47 Jésus, voyant la pensée de leur cœur, prit un petit enfant, le plaça près de lui, 48 et leur dit : Quiconque reçoit en mon nom ce petit enfant me reçoit moi-même; et quiconque me reçoit reçoit celui qui m’a envoyé. Car celui qui est le plus petit parmi vous tous, c’est celui-là qui est grand.[3] »

Ce n’est pas dans le grand nombre de membres de votre Église que Dieu prend plaisir, mais à la qualité des soins qui sont donnés aux plus faibles du troupeau. L’apôtre Pierre conseillait aux responsables de l’Église de mettre en pratique des habitudes qui, dit-il, étaient aussi les siennes, et ce, même s’il était un apôtre de la plus haute importance dans l’Église primitive.

« 1 Je ferai, à présent, quelques recommandations à ceux parmi vous qui sont responsables de l’Église. Je leur parle en tant que responsable comme eux et témoin des souffrances du Christ, moi qui ai aussi part à la gloire qui va être révélée. 2 Comme des bergers, prenez soin du troupeau de Dieu qui vous a été confié. Veillez sur lui, non par devoir, mais de plein gré, comme Dieu le désire. Faites-le, non comme si vous y étiez contraints, mais par dévouement. 3 N’exercez pas un pouvoir autoritaire sur ceux qui ont été confiés à vos soins, mais soyez les modèles du troupeau. 4 Alors, quand le Chef des bergers paraîtra, vous recevrez la couronne de gloire qui ne perdra jamais sa beauté.[4] »

Il y avait en Israël de nombreux leaders spirituels : prêtres, sacrificateurs, chefs de synagogues, scribes, pharisiens, saducéens, etc. Toutefois, Jésus n’en trouva aucun qui avait un cœur de berger. Tous étaient trop occupés à maintenir et à défendre l’institution religieuse qui les nourrissait. Si Jésus devait se prononcer sur la qualité du travail que nous faisons dans nos Églises, ne serait-il pas tenté de redire ce qu’il a dit en Mathieu 9?

« 36 En voyant les foules, il fut pris de pitié pour elles, car ces gens étaient inquiets et abattus, comme des brebis sans berger. 37 Alors il dit à ses disciples : La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux ! 38 Demandez donc au Seigneur, à qui appartient la moisson, d’envoyer des ouvriers pour la rentrer.[5] »

Il y avait des leaders en Israël, mais tous étaient trop occupés à réussir leur carrière. Sommes-nous tombés dans le même panneau?

Conclusion

Si le ministère pastoral est en crise actuellement, c’est à cause de nous, les pasteurs, qui rêvons de gloires éphémères. Je sais aussi que beaucoup de pasteurs font un excellent travail dans leur Église et prennent véritablement soin des âmes que Dieu leur confie. Puisse le Seigneur les utiliser pour que ce soit eux les modèles qui inspireront la prochaine génération de bergers qui s’amène. Puisse le Seigneur nous faire la grâce d’ouvrir nos yeux et nos cœurs pour que nous soyons des bergers selon son cœur.

Réal Gaudreault (pasteur)


[1] 2 Timothée 2 : 2

[2] Jean 10 : 14-15

[3] Luc 6 : 46-48

[4] 1 Pierre 5 : 1-4 (Semeur)

[5] Mathieu 9 : 36-38

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8 Comments

  1. Bonjour Pasteur Réal, que penser des Pasteur qui sont tellement occupés au mission extérieure de l’église. Ils n’ont plus le temps pour les brebis, et même que certains non aucun intérêt pour la parole et ils ont plein d’histoire à raconter. Peut-on appeler cela l’église émergente.

  2. D’UNE COMMUNAUTÉ DE COMMUNION, À UNE COMMUNAUTÉ D’ORGANISATION : LA DÉRIVE

    Commençons-nous de nouveau à nous recommander nous-mêmes ? Ou avons-nous besoin, comme quelques-uns, de lettres de recommandation auprès de vous, ou de votre part ? C’est vous qui êtes notre lettre, écrite dans nos cœurs, connue et lue de tous les hommes.
    2 Corinthiens 3

    M Gaudreault, votre percutant témoignage vient confirmer ce qui m’est apparu un leurre des plus préoccupants ces dernières années. On a voulu des communautés vivantes, et on a plutôt forcé le jeu en créant des organisations impropres au service de Dieu. Comme vous l’affirmez, il semble «qu’il y a eu un détournement de la formation pastorale selon une perspective strictement biblique vers une culture de formation partiellement sécularisée». Le texte que je cite rappelle un combat de Paul qui ressemble beaucoup au vôtre : une communauté aux prises avec des formalités qui les ont menés à leur perte (pensons à la dérive morale de la communauté corinthienne). C’est l’un des pièges qui guettent, non seulement les corinthiens, mais toute organisation qui fonde sa vision sur l’homme. Est-ce que je me trompe ? C’est pourtant ce qui est survenu dans une institution bien connu, pour ne pas la nommer, la « puissante » église catholique romaine. Difficile constat de notre hypermodernité et Ô combien dommageable.
    J’ai quelques décennies derrière moi pour en juger et je m’associe très bien à votre analyse en tant que ʺsimple membreʺ. Ce qui, dans la foulée de ces structures religieuses, a privé de l’Esprit de grâce beaucoup d’enfants de Dieu. Venant d’un pasteur d’expérience qui en parle de l’intérieur, votre témoignage est d’autant plus crédible et sans équivoque. Il faut se rendre à l’évidence, la tendance à bureaucratiser les communautés, porte atteinte à ce qui devrait faire l’essence même de nos rapports en Jésus-Christ savoir, la grâce divine. Alors que les décideurs de ces organisations s’affairaient à former des ʺleadersʺ bien formaté, les membres s’enlisaient dans une ambiance d’activisme et programmes de toutes sortes. L’activisme a pris le pas sur une nécessaire intériorité de notre marche. Une sorte de vision ʺaffairisteʺ qui s’est installée ces dernières années, évacuant toute forme de proposition attentiste de la volonté divine. Laissant toute la place aux initiatives ʺd’hommes et de femmes d’actionʺ, à mon sens, aurait contribué à l’appauvrissement de la vitalité spirituelle attendue d’une communauté chrétienne.
    À bien y penser, l’histoire qui se joue actuellement résonne à mon oreille comme celle du «paradoxe d’Icare» :
    «Selon la mythologie grecque,Icare le héros légendaire aurait volé si haut et si près du soleil, que la chaleur aurait fait fondre ses ailes de cire le précipitant vers la mort dans la mer Égée.
    La puissance de ses ailes avait donné naissance à la désinvolture qui devait le perdre.»
    Se pourrait-il que certains dirigeants pensent qu’à force de structures, de critères d’admission dans nos murs, de bonnes œuvres voire de connaissances intellectuelles (grec: sunetos/ Mathieu 11.25 ) ou toutes autres ambitions qui oublie l’essentiel (savoir Christ), on se brûlera les ailes ! C’est une perdition que je ne souhaite pas et je prie qu’on s’en ressaisisse. Le leurre est consommé si on évacue tout ceux qui le dénonce, c’est sûr.
    M Gaudreault vous dénoncez ce qui fait mal, mais qui a dit que la verge était douce …? Obéissons plutôt que de nous raidir ou pis encore, de tomber dans l’indifférence.
    Prions que le Seigneur nous protège de cette confusion, que devant l’adversité et la prophétie selon Mathieu 24, il envoie des gens qui porteront sa parole avec puissance au sein des siens:
    L’Éternel dit à Ézéchiel:
    «Voici, j’endurcirai ta face, pour que tu l’opposes à leur face; j’endurcirai ton front, pour que tu l’opposes à leur front»

    Tenons-nous à la brèche, nous qui sommes en sécurité auprès de Lui !

    • Bonjour Claude, comme toujours vous avez les mots justes pour enrichir de vos commentaires les articles que je publie. J’aime au plus au point l’Image du héros légendaire grec d’Icare, elle traduit tellement bien la chute évidente de nos communautés chrétiennes.

  3. Levons les yeux vers son Soleil.
    Icare qui expose avec orgueil ses ailes au monde, est on ne peux plus menacé par notre Soleil qui approche …
    «…pour vous qui craignez mon nom, se lèvera Le soleil de la justice, Et la guérison sera sous ses ailes.» Mal 4.2
    Vous avez partagé dans un récent passé combien nous entrions dans un nouveau paradigme et j’en suis. Si le paradoxe d’Icare «traduit tellement bien la chute évidente de nos communautés chrétiennes», celui de Narcisse qui se plait à regarder le reflet visage…représente étrangement plusieurs qui les conduisent.
    Courage !
    Nous sommes son “résidu”, ceux qu’Il a choisi.
    «Tout au long de l’histoire de l’homme sur la terre, Dieu s’est toujours réservé des serviteurs ayant pour Lui le caractère d’un « résidu » fidèle – même si leur entourage ignorait leur existence (1 Rois 19 : 18). L’Eternel les connaissait et Il dit : « Mais c’est à celui-ci que je regarderai : à l’affligé, et à celui qui a l’esprit contrit et qui tremble à ma parole » (Es. 66 : 2).»

    «Dieu est patient, et nous avons le témoignage de la longueur de cette patience qui, depuis l’œuvre de Christ, se prolonge depuis plus de 2000 ans. Dieu est patient, mais si patient qu’Il soit, Sa patience a un terme. Il a été patient avec Israël, mais maintenant (Éz. 9) le jugement doit tomber. En sera-t-il autrement pour la chrétienté professante ? nullement. Pourrions nous dire que la chrétienté professante et sans vie (pour autant qu’elle se réclame encore du nom de chrétienté !) est en meilleur état que le peuple terrestre de Dieu à la veille du jugement qui l’a frappé ? Certainement pas. Les abominations qui se passent maintenant ne sont pas moins graves. Dans la chrétienté actuelle, on a bafoué toutes les lois divines, tout ce que le christianisme nous a apporté. Nous assistons à l’écroulement progressif du christianisme par les abominations qui sont placées devant nous, sous nos yeux tous les jours. » P. Combe

    MARANATHA !

  4. Excellent texte,
    Mais j’ai vu trop souvent de l’autre côté des pasteurs voués aux gens de leurs assemblées, s’oublier à un point tel que leur vie personne était reléguée au dernier plan. Cela a eu des répercussions majeurs dans leur vie de couple ainsi que dans la vie de leurs enfants. Ils n’ont pas su ”géré”.
    Savoir être un gestionnaire est nécessaire pour un pasteur, mais cela ne doit pas être le premier critère qui est celui de s’occuper des brebis que Dieu lui confie.
    Le problème aujourd’hui, est que beaucoup trop de pasteurs sont des gestionnaires plus que bergers.
    Un beau sujet qui donne à réfléchir !

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