” Qui donc est mon prochain?” (Luc 10: 29)

S’il est vrai que les chrétiens doivent plus que jamais prendre conscience de leur rôle dans la société québécoise en vue d’être au cœur de l’action qui enrichit le bien commun, il faut dès lors poser la question : mais qu’est-ce que le bien commun?

Je propose la réponse de Jean-Yves Naudet, professeur émérite d’économie à la faculté de Droit et de Sciences politiques de l’Université d’Aix-Marseille.

« Le bien commun vise l’épanouissement intégral des personnes et des groupes qui constituent la société : si le politique en est le responsable ultime, chacun en est responsable à son niveau et on ne peut espérer progresser vers lui que si les corps intermédiaires peuvent vraiment tenir leur place.[1] »

Est-ce que les chrétiens peuvent vraiment tenir leur place parmi les corps intermédiaires susceptibles d’enrichir le bien commun selon la définition du professeur Naudet? Sans aucune hésitation, je dis OUI! Mais à la seule condition qu’ils s’en tiennent au rôle qui est le leur. La part des chrétiens ne peut dépasser l’intention du Christ pour ce monde.

Jésus et le bien commun

Lorsqu’on m’a approché pour écrire un article qui traite de la convergence entre la foi chrétienne et le bien commun, la parabole du bon Samaritain m’est aussitôt venue à l’esprit. Non pas tous les détails de cette parabole, mais surtout la conclusion où Jésus affirme : « Lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de celui qui était tombé au milieu des brigands ? C’est celui qui a exercé la miséricorde envers lui, répondit le docteur de la loi. Et Jésus lui dit : va, et toi, fais de même.[2] »

Remarquons que Jésus ne répond pas tout à fait la question que lui avait posée auparavant le docteur de la Loi au verset 29 : « Et qui est mon prochain ? » Pour Jésus le plus important n’est pas de savoir qui est le prochain, mais plutôt comme il l’affirme au verset 36, « Lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de celui qui était tombé? » Autrement dit, Jésus pose différemment la question de telle sorte qu’au final, il ne s’agit plus d’identifier qui est mon prochain, mais de qui suis-je le prochain?

De qui suis-je le prochain? 

Il suffit de réfléchir juste un peu à la question telle que Jésus la reformule au docteur de la Loi pour voir ce dernier complètement déculotté. Non seulement Jésus ne tombe pas dans le piège dissimulé dans cette question, mais il tend à cet homme un piège bien plus redoutable encore. Or, ce piège m’est également tendu à moi comme disciple de Christ. Comme cet homme, je préfère de loin rester maitre de mes préférences à l’égard de celui que je désigne comme mon prochain. Je veux maintenir mon privilège de juge en vue de préserver le pouvoir de choisir qui est celui qui mérite d’être mon prochain. Qui est digne de moi, de mon amitié, de mon secours? Et Jésus, connaissant trop bien le cœur de l’homme, renverse la question en vue de lui retirer le pouvoir de choisir son prochain.

Dans l’énoncé « de qui suis-je le prochain », je me retrouve tout à coup à la merci d’être obligatoirement le prochain de celui que je ne choisis pas, celui qui est là au gré du chemin. C’est l’autre qui par l’expression de son besoin fait de moi son prochain. Destitué de l’exercice de ma souveraineté sur mes relations humaines, j’entre dans une nouvelle dynamique où le destin divin choisit pour moi le prochain, celui que je n’aurais pas choisi moi-même et qui, soudainement, devient le prochain que Dieu choisit pour moi.

Un Sauveur à dimension transversal 

C’est l’Évangile et l’appel de la grande commission[3] qui font en sorte que désormais, chaque journée sera l’occasion pour le Dieu souverain d’orienter mes pas vers celui ou celle de qui je serai le prochain. L’exemple est d’abord celui du Dieu incarné qui fut le prochain d’hommes de la plus haute noblesse d’Israël : docteurs de la Loi, scribes et membres illustres du Sanhédrin, ceux de qui il doit constamment esquiver les pièges insidieux. Mais aussi, Jésus fut le prochain de gens ordinaires comme Zachée et le jeune homme riche, et aussi des gens de mauvaise vie telle que la femme adultère et quelques autres pécheurs notoires. Mais ce n’est pas tout, Jésus fut aussi le prochain d’hommes et de femmes étrangers aux alliances d’Israël tel que la femme samaritaine, la femme syrophénicienne et le centenier romain.

Faut-il se rappeler que le monde dans lequel vit Jésus est différent du nôtre à bien des égards en ce que les gens de l’époque étaient coincés dans des classes sociales qui les gardaient captifs d’un milieu relationnel étroit. Mais Jésus lui, traverse ces classes avec une aisance déconcertante. Après les noces de Cana en Jean 2, on le voit en Jean 3 avec le docteur d’Israël, Nicodème, puis avec la femme samaritaine en Jean 4 et un pauvre paralytique en Jean 5. Nous le retrouvons ensuite devant une large foule en Jean 6, en compagnie de scribes, de pharisiens et de docteurs de la Loi en Jean 7 et 8, et enfin, avec un aveugle-né en Jean 9. Des plus petits aux plus grands sur l’échelle sociale d’Israël, Jésus est partout à l’aise. Il ne refuse jamais d’être le prochain de ceux qui le lui demandent. Peut-on affirmer que Jésus visait l’épanouissement intégral des personnes et des groupes qui constituent la société? Évidemment, Jésus en sa qualité de Messie est là en vertu d’une mission qui va bien au-delà du simple épanouissement individuel de ceux qu’il a côtoyés. Mais il faut tout de même remarquer qu’il s’est pleinement livré à ce rôle très humain d’être authentiquement présent dans la vie des gens.

L’Évangile se présente comme la bonne nouvelle qui transcende les querelles raciales affectant le monde depuis Babel. Il abat les murs entre les hommes de tous les peuples pour en faire un seul peuple qui lui appartienne. Et c’est à nous qu’il confie la mission précieuse d’être les porteurs de cette parole bienheureuse en tant que ses disciples. Voilà pourquoi la formation de disciples ne peut se réduire qu’à la seule maitrise de savoirs théologiques et/ou à l’acquisition de meilleurs atouts en leadership. L’Évangile nous invite, voire même, nous impose d’aimer les hommes de toutes tribus et de toutes langues dans l’abandon total des préjugés culturels de chacun, car en Christ, tous sont invités à devenir des enfants de Dieu, des citoyens des cieux. Plusieurs textes bibliques témoignent de cette intention :

« Il faut premièrement que la bonne nouvelle soit prêchée à toutes les nations.[4] »

« Aussi l’Écriture, prévoyant que Dieu justifierait les païens par la foi, a d’avance annoncé cette bonne nouvelle à Abraham : toutes les nations seront bénies en toi ![5] »

« Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.[6] »

Le message de l’Évangile n’est pas un appel à la tolérance, mais une invitation à vivre audacieusement des relations avec des gens de diverses cultures, fussent-ils riches, pauvres ou indigents. Si l’Église apparait d’abord dans sa dimension humaine comme une communauté composée d’une large diversité ethnoculturelle, dans sa dimension spirituelle, cette apparente diversité disparait pour laisser place à l’homme nouveau « créé selon Dieu dans une justice et une sainteté que produit la vérité.[7] » Et cela parce qu’en Jésus-Christ « il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme; car tous vous êtes un en Jésus-Christ.[8] » Oui, nous sommes un par Jésus Christ.

L’amour n’est pas un projet

L’amour du prochain n’est pas un projet d’église locale, c’est un style de vie fondé sur l’intention de Dieu à l’égard d’un monde qu’il aime. De Lui, je reçois l’appel de bâtir des relations humaines pleines de bienveillance à l’avantage de ceux qui croisent mon chemin. Bien que je sois un chrétien, je ne suis pas moins un humain avec toutes les dimensions que cette appartenance m’impose. Étant pleinement habité par cette condition humaine, je comprends ce qui se passe dans le cœur des femmes et des hommes de ma génération parce que j’ai en commun avec eux les mêmes sentiments et les mêmes angoisses. Je sais ce qu’ils craignent, ce qu’ils redoutent, ce qui les rend heureux ou malheureux.

Je sais ce qui les fait rire ou pleurer, je sais aimer et haïr comme eux, je connais cette vie pleine de trucs amusants, mais tout autant parsemée de détresses qui affectent mon courage. Je suis fait des mêmes matériaux qu’eux : de chair et de sang, fragile et souvent seul dans ma tête avec moi-même. Quelquefois, je suis anxieux pour ce monde qui m’inquiète par sa violence. Comme moi, les hommes et les femmes qui m’entourent ont des rêves, des espoirs, dont celui d’être aimé et apprécié. Je suis comme eux, je connais les émotions subversives qui les tenaillent au-dedans. Si je me connais bien moi-même, alors je connais les gens autour de moi, car ils sont comme je suis. Et que sais-je si je ne suis pas le moyen qui les conduira sur le chemin qui mène au Père?

« Va, et toi, fais de même. »

Dans l’affirmation « Va, et toi, fais de même », Jésus m’appelle non pas à faire étalage de mon savoir académique ni de mes compétences particulières, il me demande d’être seulement le prochain de celui qui au hasard de la vie se trouve sur mon chemin. Ce chemin est un chemin aux mille possibilités à cause du Christ qui s’y tenant, se soucie autant de ceux qu’il a choisis d’avance que de ceux qui en ce monde le rejetteront. De même, il nous demande de donner à ceux qui ne pourront jamais nous le rendre.[9]

Conclusion 

Comme le dit l’apôtre Paul, nous sommes des « concitoyens des saints, gens de la maison de Dieu.[10] » La véritable demeure qui nous attend est une nouvelle Terre dans de nouveaux cieux.  Mais pour le moment, nous partageons cette Terre abimée par le péché avec les gens qui n’ont d’autre espoir que de sauver cette planète intoxiquée par l’industrie humaine. Ce monde est une création de Dieu qui mérite que nous en prenions soin. Même si les gens de ce monde ne partagent pas notre espérance éternelle, nous partageons néanmoins avec eux, les mêmes villes et villages, lieux de convergence pour un bien commun qui nous rappelle la préciosité de la création de Dieu.


Image de Carlos Andres Gomez sur Unsplash

  1.  
    1. https://questions.aleteia.org/articles/167/quest-ce-que-le-bien-commun/#:~:text=%20Qu%E2%80%99est-ce%20que%20le%20bien%20commun%20%3F%20,de%20conditions%20sociales%20sont%20requises%2C%20en…%20More%20 
    1. Parabole que l’on retrouve en Luc 10.25-37 
    1. Mathieu 28.18-20 
    1. Marc 13.10 
    1. Galates 3.8 
    1. Mathieu 28.29 
    1. Éphésiens 4.24 
    1. Galates 3.28 
    1. Mathieu 5.40-48 
    1. Éphésiens 2.19 
Facebooktwittermail
rss

3 Comments

  1. Message biblique et pertinent. J’aimerais juste rappeler aux frères que notre prochain c’est premièrement nos frères et nos soeurs en Christ.

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.