Christianisme et culture libérale, compatible ou non?

Les chrétiens sont-ils appelés à interagir positivement avec la culture de ce monde qui faut-il le rappeler est aussi le leur? Devraient-ils plutôt s’en éloigner sous prétexte que plusieurs éléments de la culture ambiante s’opposent nettement au message de l’Évangile. Voilà tout le problème, où et comment l’Église peut-elle occuper sa place dans cet espace de créativité capable du meilleur et du pire.

Qu’est-ce que la culture?

Ce mot aux mille possibilités peut se résumer à une idée toute simple : il s’agit de tout ce qui n’est pas inné chez l’homme. La culture implique tout ce qui appartient à la créativité de l’homme dans tous les domaines qui environnent son milieu de vie. La culture est appréciable par les langues, les traditions, les religions, les valeurs l’alimentation, les codes vestimentaires, l’esthétisme, l’architecture, la musique, la littérature et toutes les formes de divertissements qui découlent d’une société en quête de sens. Évidemment, cette définition reste incomplète.

Puisque la culture implique tout ce que l’homme conçoit de sa propre créativité, prétendre que les chrétiens doivent s’en distancer est un raisonnement aussi incohérent que leur dire de ne pas se vêtir, ni manger et ne jamais sortir de chez-eux. La culture est la matrice porteuse des valeurs intrinsèques au développement d’une société. Or, les chrétiens ne sont pas des extraterrestres, mais des humains qui interagissent dans cette société au même titre que tout le monde. Au mieux, ils sont appelés à faire le tri, à user de discernement quant aux objets de cette culture ambiante qui s’opposent aux valeurs de l’Évangile.

C’est la faute aux fondamentalistes chrétiens

Mais il y a un problème. Actuellement, le mouvement des églises émergentes tente à sa façon de réparer les supposés dommages causés, selon eux, par la génération des évangéliques dits « fondamentalistes » du XXe siècle. Et qui sont les fondamentalistes? « Les fondamentalistes chrétiens s’opposent aux interprétations modernistes de la Bible, souhaitent le respect intégral de la religion et réclament l’influence de la religion sur la vie politique et la morale publique. De manière générale, le noyau fondamentaliste constitue une arrière-garde de résistance au vaste mouvement de sécularisation des sociétés chrétiennes.[1] »

Du point de vue des chrétiens issus du mouvement émergeant, les fondamentalistes seraient responsables de la mauvaise réputation des évangéliques dans la société d’aujourd’hui. Mais voilà, ce raisonnement me trouble.

Le paradis perdu

Pour bien saisir l’origine des causes qui embrouillent les chrétiens dans leur rapport à la culture postmoderne, il faut d’abord se rappeler que, pendant près de 1500 ans, c’est l’église[2] qui fut la principale matrice du développement des objets culturels en Occident. C’est plus récemment dans l’histoire que la culture s’est détournée de ses anciennes sources chrétiennes pour s’abreuver aux sources libérales, humanistes et athées. Les premiers traits de ce virage sont apparus au Siècle des Lumières par les encyclopédistes[3] notamment en France et par le développement de nouvelles thèses politiques et scientifiques dans l’Angleterre des 18e et 19e siècles. Mais avant cette période, l’église et ses penseurs dominaient largement l’espace de réflexion sociale aussi loin que du temps de Saint-Augustin d’Hippone, à tort ou à raison.

C’est aux chrétiens que l’on doit la stabilisation de plusieurs des langues occidentales, la littérature, la musique, la peinture, la sculpture, voire même les premiers balbutiements de la recherche scientifique aux 15e et 16e siècles. Évidemment, tout ce qu’on fait les chrétiens à travers les siècles n’a pas toujours été à la Gloire de Dieu. Les méfaits sont aussi très nombreux malheureusement. Mais au-delà des bons ou des mauvais coups, il faut tout de même reconnaitre que le développement de la culture occidentale fut bien avant le XXe siècle l’affaire presque exclusive des chrétiens. Que s’est-il passé par la suite?

Ah, ces foutus fondamentalistes…

Pour mieux comprendre les réactions souvent décrites comme « fondamentalistes » de la part des chrétiens du milieu du XXe siècle, il faut prendre conscience que ces derniers ont subi en leur génération le « clash » culturel le plus intense des 1000 dernières années. C’est eux qui ont vu l’influence dominante des valeurs chrétiennes sur la société être littéralement prise d’assaut par les puissances humanistes-athées. Dans ces débats houleux, ils ont permis à l’Évangile de traverser cette période sombre de telle sorte que le monde évangélique est encore aujourd’hui présent dans le monde. Ont-ils eu raison de résister à cette vague qui entrainait notre monde vers un paradigme progressiste ultra libéral? Ont-ils usé des bons moyens pour se défendre? Bien malin qui pourrait s’élever comme juge dans cette affaire.

Au rythme d’une culture absurde

Lorsqu’un chrétien craint Dieu, il organise sa vie pour qu’elle plaise d’abord à celui qu’il craint, Dieu. Lorsqu’un chrétien craint le monde, il organise sa vie pour qu’elle plaise d’abord à celui qu’il craint, le monde. Autrement dit, nous servons fidèlement celui que nous craignons le plus. Voilà pourquoi bien des chrétiens tentent aujourd’hui de trouver le point de convergence entre les valeurs de l’Évangile et l’espace culturel occupé essentiellement par ce monde sans Dieu. Puisque la mode est aux accommodements raisonnables, ainsi sont les chrétiens qui dominés par tous les objets culturels actuels tendent à s’accommoder le plus largement possible aux valeurs culturelles en libre-service.

Pour éviter l’affrontement, le jugement et la désapprobation de ce monde libéral, les chrétiens vont épouser les causes sociales qui s’harmonisent aux causent qui sollicitent le plus l’attention positive des non-croyants. Dans le même élan, ils éviteront toute cause susceptible de créer un préjudice à leur plan de revitalisation qu’ils suivent à la lettre. Par exemple, la plupart des églises se tiennent loin des débats sur l’avortement parce qu’ils savent trop bien que ce débat risque de les rendre impopulaires. Cependant, ils vont rapidement entreprendre des actions dites « intentionnelles » auprès des pauvres, ils dénonceront les injustices et les inégalités sociales parce qu’ils savent qu’à ce chapitre, ils gagneront l’estime des gens de ce monde qui partagent ces mêmes soucis.

Gagnants sur les deux fronts

L’idée est simple, pourquoi se mettre dans le pétrin auprès des médias et des instances politiques en défendant des causes perdantes qui n’aideront pas l’Église à rehausser sa popularité? Or, puisque les chrétiens sont appelés à rayonner en faisant du bien, aussi bien choisir des causes qui permettent de gagner sur les deux fronts. D’une part les bonnes causes auxquelles ils prennent part sont agréables à Dieu et qui plus est, les gens de ce monde trouvent aussi agréable que des chrétiens y mettent du temps.

Le problème ici n’est pas dans le choix et la pertinence des bonnes causes, mais dans les motifs cachés derrière ces choix. Pour éviter de heurter les valeurs de la culture postmoderne, on décide d’entrer dans la valse culturelle en adoptant ses pas. Ainsi, se dit-on, Dieu apprécie de nous voir faire du bien en son nom et ce monde, apprécie de nous voir enfin du même avis que lui. C’est l’Évangile selon le meilleur des deux mondes. Est-ce bien cela, l’Évangile selon Jésus-Christ?

Conclusion

Au fond, l’intention profonde qui se cache derrière ce scénario n’est rien de plus que la recherche des moyens pour être aimer du monde à tout prix. Pour bien y arriver, rien de mieux qu’un rituel d’auto culpabilisation par lequel on s’accuse d’être des méchants chrétiens fondamentalistes et le tour est joué. Il faut ensuite se repentir face à ce monde et se joindre à lui dans sa quête de sens et l’établissement d’un monde meilleur. Et si le prix à payer pour cela est de fermer les yeux sur la mort de 50 millions d’enfants chaque année dans le monde par avortement, pourquoi pas? Et qui s’en plaindra? Certainement pas ces 50 millions d’enfants, car jamais ils n’auront eu de voix pour faire entendre les cris de leur terrible malheur. Cette voix aurait pu être la nôtre, mais nous étions trop occupés à devenir populaires et pertinents.

Soyons bons et généreux de toutes les manières possibles envers ce monde sans espoir. Soyons là où sont les gens dans leurs malheurs et leurs bonheurs et surtout, aimons-les de l’amour de Dieu sans considérer l’état de perdition dans lequel ils se trouvent. Aimons-les vraiment, mais aimons surtout dans la vérité. Ce n’est pas une affaire de culture, mais de vérité.

Réal Gaudreault (Pasteur)

[1] https://www.scienceshumaines.com/qui-sont-les-fondamentalistes-chretiens_fr_244.html

 

[2] Par l’usage du mot Église, j’entends l’ensemble des clergés Catholiques, Luthériens, Anglicans et toutes les formes évangéliques.

[3] Les encyclopédistes constituent un mouvement de libres penseurs initié par Denis Diderot en 1750 en France. De Montesquieu à J.J. Rousseau, tous les grands penseurs et philosophes du siècle des Lumières ont pris part à ce vaste mouvement d’écriture qui a culminé en de nombreux dictionnaires aux idées libérales.

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3 Comments

  1. Réal,
    Sans doute, tu sais déjà, mais une des œuvres premières des chrétiens au 1er siècle était envers les nouveau-nés que leurs parents avaient abandonnés « aux poubelles » de la ville. C’est ainsi que l’esclavage procurait des enfants, masculins et féminins, pour leur industrie. L’église a agi rapidement pour chercher ces enfants abandonnés pour les élever dans l’église.
    Quand l’industrie de l’esclavage était affectée par l’œuvre des chrétiens, elle a réagi violemment contre l’église, comme aussi ont fait bien d’autres industries du 1er siècle touchées par l’œuvre des chrétiens.

  2. (texte revu et corrigé)
    «Lorsqu’un chrétien craint Dieu, il organise sa vie pour qu’elle plaise d’abord à celui qu’il craint, Dieu.» R. Gaudreault
    La culture comme tout le reste, lorsqu’elle est pratiquée dans cet esprit s’expose…à la réussite ! Celle que Jésus-Christ enseigne; c’est une posture bénit par le Dieu biblique. En autant qu’elle baigne dans les paradigmes du Maître et Seigneur Jésus-Christ. Quel défi dans une époque relativiste comme la nôtre !
    «Lorsqu’un chrétien craint Dieu», voici un principe qui me semble refléter l’intention la plus noble qu’un chrétien puisse poursuivre. Ce qui me semble plus ardu (surtout en cette ère de relativisme), c’est de le traduire en valeurs et en actions. Et au fait, certains en viennent même à redéfinir qui est ce ʺDieuʺ et quelle est sa ʺvolontéʺ pour faire fléchir l’évangile en ʺévangile socialʺ. Ces dérives des plus dommageables, vident l’évangile de l’essentiel. On introduira alors toutes sortes de conceptions propres à évacuer les enseignements les plus fondamentaux (pour reprendre le terme de ceux qui dénoncent un certain ʺfondamentalismeʺ). Depuis quand devrions-nous abandonner les fondements enseignés par les apôtres !? De quels ʺfondamentalismesʺ parle-t-on ? Celui d’un colonialisme sauvage ou encore, d’un prosélytisme sans discernement qui, sous prétexte d’un certain ʺdogme religieuxʺ, assiège, pille les cultures voire tue ceux qui les pratiquent !?
    Je tiens aux ʺfondementsʺ de l’enseignement biblique, donc, je suis un ʺfondamentalisteʺ. Il serait imprudent de galvauder cette idée de ʺfondamentalismeʺ comme certains de la ʺmouvance émergenteʺ semblent qualifier ceux qui prêchent l’évangile ʺà tout crinʺ. À ce titre, je suis un sectaire pour ceux qui définissent les ʺchrétiensʺ comme n’existant que sous la férule de l’Église Catholique. Je suis un ʺexʺ (dépressif, alcoolique, drogué, prostitué etc) parce que je me suis converti à un mouvement religieux. Je suis homophobe parce que je considère ce comportement comme le produit d’une confusion (alors que jamais je n’encenserais la violence à l’endroit d’une personne transgenre). Des amalgames par lesquels les non-croyants justifient leur propres résistances à l’évangile, et dont on se sert pour culpabiliser les ʺpauvres chrétiens dépendants affectifsʺ. Tout est dans la nuance, des fondamentalistes pas plus que des chrétiens sans l’Écriture, ça n’existent pas. Plutôt se méfier de ceux qui se définissant comme non-fondamentalistes, qui annoncerait un ʺévangile socialʺ (poursuite obsessive d’un monde meilleur) en négligeant l’enseignement intégral de l’Écriture.
    C’est ici que se précise le tableau que vous dépeignez à savoir, le chrétien fera le choix de se cantonner dans «des causes sociales qui s’harmonisent»…question d’éviter les heurts. Il peut alors déclamer ses ʺconvictionsʺ dans des domaines déjà encensé par son entourage. Il aura ainsi le sentiment de faire «son devoir de bon chrétien», tout en évitant la confrontation et ce, sans aborder les réels enjeux de l’évangile (la mort spirituel, le péché, la repentance, le Jugement dernier etc.). Il ne s’agit pas ici d’être dans un continuel débat sur les graves enjeux bibliques, mais à tout le moins d’y arriver, à un certain moment de la rhétorique. De garder les yeux fixés sur ce qui, ultimement, détermine tout le reste (ré : la pensée de Dieu). Il s’agit de semer des liens qui orientent le non croyant sur le ʺchemin d’Émmaüsʺ tout en priant que le Seigneur l’éclaire.
    Vous soulevez très bien cette idée que : «Pour éviter l’affrontement, le jugement et la désapprobation de ce monde libéral, les chrétiens vont épouser les causes sociales qui s’harmonisent aux causent qui sollicitent le plus l’attention positive des non-croyants. (…) l’intention profonde qui se cache derrière ce scénario n’est rien de plus que la recherche des moyens pour être aimer du monde à tout prix» (beaucoup de prédicateurs cherchant à pacifier les relations avec le monde civil, tiennent des discours postmodernistes voire hypermodernistes. Par leur souci excessif, ils sont capables de détourner n’importe quelle jeune foi de l’essentiel)
    «Le problème ici n’est pas dans le choix et la pertinence des bonnes causes, mais dans les motifs cachés derrière ces choix.» R. Gaudreault
    Les motifs sont bien souvent ceux qui nourrissent notre indolence face à la Cause : une vie tranquille et un profond besoin d’approbation. Est-ce trop s’avancer de dire que de toute manière, les occupations – à commencer par le travail – nous absorbe bien trop pour voir à ces choses. Certains pensent que même ces choses de la vie en communauté, sont des activités trop contraignantes (dont la prière; lieu premier du combat et lieu final de tout accomplissement. Prière du matin, prière du soir… moments privilégiés du ʺsh’ma Israël !ʺ). De toute manière…les pasteurs et l’équipe de direction s’en occupent ! (ton ironique)
    Le jour où nous n’aurons plus d’ennemis comme chrétien, c’est qu’après avoir ouvert la porte par laquelle Jésus est entré dans nos vies, nous lui aurons ouvert la porte …du placard de nos vies.
    «Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde.» Math.28.20

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