Élection, libre arbitre et justice de Dieu

« Y a-t-il en Dieu de l’injustice ? »

Au moment où il écrivait sa lettre aux Romains, l’apôtre Paul anticipait déjà que la question de l’élection qu’il traite notamment aux chapitres 8 et 9 amènerait inexorablement ses lecteurs à douter de la justice de Dieu. Si avant même la fondation du monde Dieu a choisi d’avance ses élus, que dire de tous ceux qui n’ont pas été choisis? Sur quelle base ces derniers n’ont-ils pas été choisis? Et qu’est-ce que Dieu a vu chez les élus qu’il n’a pas vu chez les perdus? Étant élus avant même qu’ils existent, aucun mérite de leur part n’a pu incliner le cœur de Dieu à les sauver. Dieu a-t-il délibérément fait grâce à certains sans aucune raison particulière, une grâce qu’il n’aurait pas accordée à d’autres sans aucune raison particulière? Si là est l’essentiel de la justice de Dieu, nous voilà au cœur de l’un des grands dilemmes théologique : « y a-t-il en Dieu de l’injustice » ?[1]

Évidemment, cette description de la justice vient aussitôt heurter notre sens de la justice, car en ces temps où les valeurs humanismes-athées dominent largement l’opinion publique, la justice est indissociable de l’égalitarisme[2]. De ce point de vue, pour être juste, il aurait fallu que Dieu donne une chance égale à tous les hommes d’accepter ou de refuser son offre de salut. Or, il semble bien que la justice de Dieu n’honore pas vraiment cette conception de la justice humaine. Il semble aussi que même les chrétiens digèrent très mal cette conception divine de la justice qui est étrangère à celle qui les environne dans leur quotidien.

Même comme chrétiens, nous aimerions que Dieu soit juste d’une justice semblable à celle qui plait aux hommes du siècle présent. Ça nous permettrait au moins de leur présenter un Dieu dont la justice est compatible avec la leur. C’est pour cette raison que nous nous efforçons (à tort) de réhabiliter la réputation de Dieu en le présentant comme un Dieu qui par souci de justice offre son salut à tous les hommes sans exception et qui, au final, respecte le libre choix de chacun. De cette manière, Dieu est blanchi de tout soupçon. C’est là un point de vue vraiment intéressant sur le plan humain, mais difficile à défendre sur le plan biblique. La réalité est qu’aucun homme dans sa condition pécheresse ne possède un libre suffisamment éclairé pour se tourner vers Dieu, pas même un seul nous dit Paul dans Romain 3. Ce n’est pas Dieu qui ferme la porte du salut aux hommes, mais ce sont les hommes eux-mêmes qui résistent à cette offre.

Vite, sauvons l’honneur de Dieu

L’importance de sauver l’honneur de Dieu est telle que nous créons de toute pièce des raisonnements dont le but est d’harmoniser la justice de Dieu avec la conception humaine de la justice. Sinon, comment expliquer à nos contemporains que les standards de la justice des hommes seraient plus équitables que les standards de la justice de Dieu? Vous voyez le problème? Puisqu’il est intolérable de placer Dieu dans cette posture de mauvais goût, trouvons-lui une porte de sortie qui l’exonère de tout blâme. Voici deux raisonnements souvent entendus à cet égard :

  1. Un Dieu aimant ne saurait d’aucune façon forcé le libre arbitre de l’homme. Voilà pourquoi Dieu respecte entièrement leur droit de refuser son offre de salut. Ainsi donc, ceux qui sont perdus demeurent dans cette condition simplement parce qu’ils usent de leur libre arbitre pour résister à Dieu. Ils n’ont qu’eux-mêmes à blâme.
  2. Dieu n’a pas créé des robots qui n’auraient d’autres choix que de se tourner vers lui. Voilà pourquoi il fait tout en son pouvoir pour attirer les hommes à lui (œuvre de l’Esprit) de telle sorte que si ces derniers refusent la grâce du salut, ils n’ont qu’eux-mêmes à blâmer.

Le problème que pose le premier argument est de taille. Dire que l’amour de Dieu impose à Dieu de respecter la liberté de choix de ceux qui sont perdus revient à contredire l’œuvre de Dieu qui par amour sauve les hommes. C’est parce qu’il vous aime qu’il a choisi de vous sauver. S’il avait respecté votre libre choix, vous seriez perdus, tous.

Le problème du second argument tient du fait que d’une part, Dieu ne sauve pas des robots, mais des femmes et des hommes qu’il aime d’un amour éternel. Il a fait bien plus que d’essayer de nous convaincre, il nous pleinement convaincu en nous ouvrant les yeux sur la réalité de notre condition[3]. Vous n’êtes pas un robot, mais un enfant de Dieu. « Voyez quel amour le Père vous a témoigné pour que vous soyez appelé enfant de Dieu.[4] » Son amour nous a faits enfants de Dieu et non des créatures éloignées de Lui au nom du respect de notre libre arbitre.

Si donc vous croyez être sauvé grâce à votre libre arbitre, n’êtes-vous pas en train de dire que vous êtes habité d’une intelligence et d’une sagesse supérieure à ceux dont le libre arbitre n’a pas aussi bien fonctionné que pour vous? Qu’avez-vous à dire à ceux qui ne sont pas nés dans les conditions gagnantes pour obtenir la même chance que vous? Est-ce juste?

« Ceux qu’il a connu d’avance »

Pour contourner l’épineux problème de la souveraineté de Dieu dans l’élection des élus, on dira que Dieu a connu d’avance ceux qui utiliseraient diligemment leur libre arbitre pour se tourner vers lui de leur vivant. « Car ceux qu’il a connus d’avance[5], il les a aussi prédestinés à être semblables à l’image de son Fils, afin que son Fils fût le premier-né entre plusieurs frères.[6]» Hum, intéressant, mais trop peu concluant. Rien dans l’énoncé de Paul ne suggère que Dieu aurait connu d’avance le choix des élus. Ce texte ne parle nullement de choix. Il est simplement dit que Dieu a connu d’avance ceux qu’il a prédestiné. Faire dire plus que cela à ce texte relève de la fantaisie. Je sais qu’une telle interprétation permet de réconcilier la préscience sélective et le libre arbitre, mais malheureusement, l’argument est très mince si on veut respecter l’exactitude du texte.

La lettre de Paul aux Éphésiens assume très clairement l’idée selon laquelle “Dieu nous a élus avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints et irrépréhensibles devant lui.[7]” Dieu n’a pas élu des femmes et des hommes sur la base qu’il aurait vu d’avance qu’ils seraient “saints et irrépréhensibles” devant LUI, mais il les a élus en vue de les déclarer “saints et irrépréhensibles” devant Lui sur l’unique fondement de sa grâce. La nuance est extrêmement importante.

D’une manière ou d’une autre, Dieu reste coupable

Si nous disons que Dieu a choisi avant même la fondation du monde ses élus sans égard à une quelconque préscience sélective, mais sur l’unique fondement de sa grâce irrésistible, on l’accusera de ne pas être juste envers ceux qui n’ont pas eu accès à cette grâce salvatrice.

Et si nous disons que Dieu sauve les rachetés suivant une réponse favorable qui respecte leur libre arbitre, Dieu sera accusé de ne pas avoir fait en sorte que tous les hommes, de tous les siècles dispersés aux quatre coins de la Terre soit efficacement exposés à l’Évangile. Mais oui, comment expliquer que des millions de gens n’ont jamais même entendu parler de Jésus entre le 1er et le 18e siècle?

On pourrait dire du Dieu des calvinistes qu’il manque d’amour en ne se souciant pas de ceux qu’il n’a pas choisis et on pourrait dire du Dieu des partisans du libre arbitre que bien qu’il respecte le choix de chacun, il n’a pas réussi à rendre ce choix disponible à tous les hommes. D’une manière ou d’une autre, Dieu sera mis au banc des accusés.

À moins que ce soit la faute des chrétiens

Ce n’est peut-être pas la faute de Dieu si l’Église n’a pas répondu sérieusement à l’appel d’évangéliser tous les hommes de tous les siècles, diront certains. Mais ici encore, l’argument est plutôt mince, car c’est le rôle souverain de Dieu d’envoyer des ouvriers dans sa moisson[8]. Et encore, cet argument laisse entendre que Dieu aurait confié l’œuvre du salut de l’humanité à des hommes aussi frêles que vous et moi. Oui certes, Dieu se sert des hommes pour annoncer son œuvre salutaire, mais cela ne veut pas dire que l’homme est seul mandataire de la réussite de cette mission. Il serait trop peu pertinent de dire que Dieu se serait déresponsabilisé de sa souveraineté dans l’œuvre du salut pour la confier à des gens aussi irresponsables que vous et moi. Ce serait totalement absurde de croire que Dieu s’en lave les mains, non?

Conclusion

Un des éléments qui manque cruellement à cette équation est le rôle important que joue la rébellion de l’homme contre son créateur. Depuis la Chute adamique, l’homme séparé de Dieu se prend lui-même pour Dieu en établissant sa propre justice. La justice issue du cœur de l’homme, si bonne soit elle est aux yeux de Dieu un vêtement souillé[9]. Même les chrétiens arrivent difficilement à comprendre la justice de Dieu selon les critères établis par Dieu dans sa Parole.

Lorsque l’apôtre Paul pose la question : Y a-t-il en Dieu de l’injustice?, on pourrait s’attendre de sa part à une réponse qui satisfasse notre sens de la justice. Or, la réponse de Paul est sans équivoque, non seulement il n’y a pas en Dieu de l’injustice, mais qui plus est, il n’appartient pas aux hommes de dicter à Dieu comment il doit gérer la justice :

« 14 Que dirons-nous donc ? Y at-il en Dieu de l’injustice?, Loin de là ! 15 Car il dit à Moïse : Je ferai miséricorde à qui je fais miséricorde, et j’aurai compassion de qui j’ai compassion. 16 Ainsi donc, cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. 17 Car l’Ecriture dit à Pharaon : Je t’ai suscité à dessein pour montrer en toi ma puissance, et afin que mon nom soit publié par toute la terre. 18 Ainsi, il fait miséricorde à qui il veut, et il endurcit qui il veut. 19 Tu me diras : Pourquoi blâme-t-il encore ? Car qui est-ce qui résiste à sa volonté ? 20 O homme, toi plutôt, qui es-tu pour contester avec Dieu ?[10] »

Dieu fait miséricorde à qui il veut et il endurcit qui il veut, est-ce que ça vous choque ?

Réal Gaudreault (pasteur)

[1] Romain 9 :14

[2] L’égalitarisme est une doctrine politique qui professe l’égalité absolue de tous les hommes, sous tous les aspects : civil, politique, économique, social… et qui tente de la réaliser dans les faits. http://www.toupie.org/Dictionnaire/Egalitarisme.htm

[3] Jean 9, Voir d’histoire de l’aveugle né guérit par Jésus.

[4] 1 Jean 3 :1

[5] Proginosko : savoir d’avance

[6] Romain 8 :29

[7] Éphésiens 1 : 4

[8] Mathieu 9 : 38

[9] Ésaie 64 ; 5 ” Nous sommes tous comme des impurs, Et toute notre justice est comme un vêtement souillé ; Nous sommes tous flétris comme une feuille, Et nos crimes nous emportent comme le vent.”

[10] Romain 9 : 15-20

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9 Comments

  1. Comme je le dis souvent le”D” majuscule de Dieu devrais avoir minimum 6 pieds de haut a chaque fois qu’on l’écrit pour montrer toute sa majesté et toute l’autorité qu’il a nous on n’est que sa créature

  2. Dieu en écrivant le premier mot de la Bible, connaissait déjà le dernier. L’homme inspiré, le prophète, lui ne connaît pas tout. Tant bien que mal, il met par écrit dans un vocabulaire déficient ce que lui inspire le créateur par l’entremise du Saint-Esprit. Cela ne nous donne aucunement le droit ou le pouvoir de contester l’Écriture, simplement l’intelligence de réaliser nos limites vites atteintes.

  3. Je serais tenté de dire que c’est un des “mystère de Dieu”, ou “mystère” de la comprehension de Dieu. Tout comme imaginer exactement la beauté et la richesse des cieux, ou de la nouvelle terre à qui est réservé une place pour nous, ses élus. Mais l’homme “veut” comprendre!

  4. Salut Réal. Seulement une réflexion. Dans le NT, lorsque nous parlons de l’élection ou de la prédestination, existe’il une référence écrite pour une personne seule? Autrement dit, ayant le verbe dans la première personne singulier, ou est-ce que toutes les mentions prennent la deuxième personne plurielle. La conclusion de cette recherche, fait-elle une différence dans la manière dont nous considérons la prédestination et l’élection?

    Les

    • Je ne suis pas certain de bien saisir le sens de ta question mais je vais répondre en fonction de ce que je crois comprendre. Certains interprètent le « nous » du texte d’Éphésiens 1 :4 comme un nous collectif, comme si Dieu n’a pas élu d’avance des individus, mais l’église en tant qu’elle est corps. Mais Romain 8 :29, Paul parle des élus à la troisième personne du pluriel et non pas comme une collectivité d’individus.

      • Je crois que tu as bien compris ma question, la question sur la prédestination de l’individu ou de l’église. Romains 8 est une bonne réponse. J’ai certains doutes sur ce que Paul dit dans Romains 8 parvrappirtbà la question. Les verbes dans la 3ème personne du pluriel impliquent aussi une collectivité et le chapitre 8 est une culmination de son argument dans 1-8 qui concerne encore une collectivité plutôt que l’individu. Cette collectivité est le fondement des « ils » dans les chapitres 9-11. Seulement une réflexion ??

  5. Je dirais qu’il faut souvent se battre pour approfondir et mieux comprendre l’écriture sur les points les plus difficiles tels que l’élection, justice de dieu, qui font obstacles et se présentent a notre entendement comme des raisonnements incompatibles avec notre façon naturelle de voir les choses et ces raisonnements sont comme des pensées “par defaut”chez l’homme déchu.
    “Car mes pensees ne sont pas vos pensées et vos voies ne sont pas mes voies Esai 55-8.

  6. L’homme a-t-il quelque chose à faire pour être sauvé? A-t-il à faire un acte volontaire quelconque? La Bible nous dit bien que Dieu prédestine, mais elle dit aussi qu’Il appelle. Est-ce que ce mot «appelle» veut dire «nommer» ou veut-il dire «s’adresser à, ou interpeller? S’il veut dire qu’il interpelle les humains, les invite comme on peut inviter à un banquet, ces derniers acceptent ou refusent l’invitation. Ils auraient la capacité et la volonté nécessaire de faire ainsi. Ou bien aurions-nous perdu cette prérogative le jour (ou aujourd’hui) quand nous défions Dieu en choisissant l’arbre de la connaissance du bien et du mal?

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