Le piège démentiel du pharisaïsme

Évidemment, le pharisien, c’est l’autre, cet autre qui à mes yeux est l’hypocrite par excellence, car tout en son comportement le démontre. De plus, c’est forcément l‘autre puisque rien n’indique que c’est moi. Et puisque ce n’est pas moi, il ne reste plus que l’autre, cet autre qui visiblement possède toutes les apparences du pharisien. Et plus j’y pense, plus ça me semble évident parce que plus je m’examine, plus je me convaincs que ça ne peut pas être moi, car moi, me dis-je, JE SAIS. En tout cas, JE SAIS MIEUX.

« JE SAIS MIEUX »

Vous me direz sans doute que ce raisonnement circulaire recèle quelque chose d’extrêmement tordu. En fait, ce raisonnement est précisément celui qu’entretient en son cœur le pharisien captif de son hypocrisie. Voyez-vous, le pharisien est exactement celui qui se croit libre du pharisaïsme dont il est le sujet, car ses jugements, se dit-il, sont assurément justes parce que LUI, IL SAIT. Il sait que d’autres savent aussi, mais malgré qu’il sait cela, il est convaincu que son savoir est plus juste, plus clair, plus exact que le savoir de l’autre, car lui, IL SAIT MIEUX, IL SAIT MIEUX ENCORE.

IL SAIT MIEUX ENCORE.

Bien que le pharisien sait mieux encore ce qu’il faut savoir, il y a néanmoins une chose qu’il ignore : que le pharisien, c’est lui. C’est lui parce c’est ainsi que raisonne un pharisien Le piège du pharisaïsme est une prison démentielle dans laquelle s’enferme radicalement celui dont le regard astucieux est inlassablement attiré à évaluer ce qu’il conçoit être l’échec de l’autre. C’est de l’échec de l’autre qu’il se nourrit et qui le mieux fait rayonner sa réussite. Ce pharisien n’est ni pire ni meilleur que celui qu’il juge, il est simplement pris d’une cécité dysfonctionnelle qui le rend incapable de quitter ce cachot ténébreux.

Nous comme eux

S’il est un mal qui gémit au milieu de nos églises aujourd’hui, c’est bien celui qui consiste à répéter les erreurs des pharisiens du temps de Jésus. Ces hommes qui étaient tellement certains de savoir mieux que quiconque ont utilisé ce savoir pour juger le Fils de l’homme et le crucifier. Ils ont utilisé un savoir théologique et biblique reconnu pour condamner à mort celui qui est l’origine de cette Parole. Faut le faire! Voilà l’œuvre grandiose et répugnante du pharisien. Le savoir qui construit le pharisien n’est pas strictement théologique, il se bâtit dans la théâtralité de ses réussites. Mais oui, le pharisien est sûr de lui-même, car il fait ce qui est bien, il honore Dieu avec les prémices de ses revenus et propage avec justesse la parole de vérité. Ses réussites et ses accomplissements meublent à merveille le décor de la mise en scène qui l’élève au rang du Juste à la vue du plus grand nombre.

Le pharisien selon Bonhoeffer

Comme le dit si bien Bonhoeffer : « Le pharisien est cet homme hautement admirable dont toute la vie relève de la connaissance du bien et du mal, qui est juge aussi sévère pour lui-même que pour son prochain – à la gloire de Dieu à qui il rend humblement grâce de cette connaissance. »[1]  Voilà pourquoi il ne fallait pas toucher à l’élégance structurelle du théâtre religieux qui au temps de Jésus faisait la fierté de ces grands acteurs de talents. Car le talent de l’hypocrite[2] consiste justement à faire paraitre pour vrai et authentique ce qui dans les faits est une visualisation construite sur des apparences. Voilà ce que Jésus dénonçait avec tant de vigueur. Voilà aussi pourquoi ils ont fait tout ce qui était nécessaire pour se débarrasser de Lui, fût-il le Messie annoncé par de nombreuses prophéties dont les pharisiens connaissaient l’exactitude.

Le mensonge de l’hypocrite (au le sens biblique tu terme) n’est pas dans le fait d’affirmer ce qui est contraire à la vérité, mais d’utiliser la vérité à des fins personnelles pour se donner les apparences de celui que Dieu approuve. Le pharisaïsme consiste à posséder l’œuvre de Dieu plutôt qu’à se laisser posséder par Dieu et son œuvre. C’est manipuler avec soin toutes les nuances de la rigueur du discours public pour créer les faux-semblants nécessaires à la réussite de ses propres voies. C’est la maitrise de toute la palette des émotions suffisantes qui, entre le rire, la rage et le pleur, permet à l’acteur (prédicateur) bien avisé de recevoir les éloges quant à la texture d’un apparente authenticité derrière laquelle se cache les nombreux atouts de ses manigances sans doute partiellement inconscientes.

Et nous

Comme eux, nos églises bien assises sur des structures organisationnelles et institutionnelles nous sont tellement précieuses que même le Seigneur n’arrive plus à s’y faire entendre. En ces lieux, tout consiste à ne pas dire ce qui nous serait nuisible de dire et trouver les mots justes pour construire des formulations gagnantes. « Que Dieu vous bénisse, le Seigneur vous aime, je vous aime tellement, vous êtes vraiment précieux pour moi ». Des paroles édifiantes certes, mais souvent abusivement récupérées à des fins de manipulation. Bref, tant de paroles bien léchées qui en fin de compte ne sont que de pâles répliques théâtrales apprises par cœur en vue de maintenir les gens dans un engagement programmé que seul un discours assaisonné de paroles flatteuses séduit la naïveté d’un public qui en redemande.

Je ne suis pas meilleur que mes frères

Soyez sans crainte, je ne vais pas à mon tour faire preuve de pharisaïsme en dénonçant mes frères pasteurs sous prétexte que moi, JE SAIS, JE SAIS MIEUX ENCORE. Loin de là, en fait, je m’accuse moi-même d’être partie prenante de cet affreux théâtre. Ce qui m’importe le plus en ce moment est de trouver le moyen d’en sortir, car il ne suffit pas de croire qu’on y voit clair pour qu’une lumière libératrice arrive tout à coup. Encore faut-il retrouver la route qui mène au chemin étroit et resserré, celui qui mène à la vie. L’apôtre Paul nous donne ces conseils très à propos : « Ne mentez pas les uns aux autres, vous étant dépouillés du vieil homme et de ses œuvres, et ayant revêtu l’homme nouveau, qui se renouvelle, dans la connaissance, selon l’image de celui qui l’a créé. »[3]  « C’est pourquoi, renoncez au mensonge, et que chacun de vous parle selon la vérité à son prochain; car nous sommes membres les uns des autres. »[4]

« Renoncez au mensonge »

Dans le grec, le mot mensonge est « pseudos », c’est-à-dire, une fausseté volontaire. S’il y a au moins une solution pour enrayer ce problème du pharisaïsme c’est bien de commencer par prendre conscience de nos propres mensonges. Non pas ceux des autres, de nos pasteurs ou de nos frères et sœurs en Christ, mais de mes mensonges à moi. L’homme nouveau nous dit Paul trouve son renouvellement dans celui qui l’a créé. Ici le mot « renouvelle » est Anakainoo, mot qui signifie : « Avoir un nouveau mode de vie, opposé à l’ancien état corrompu »[5]

Si nous souhaitons une grande réforme de nos institutions chrétiennes, le tout doit commencer par une réforme de notre propre cœur devant Dieu. C’est au Seigneur qu’appartiennent les autres, pas à nous.

Conclusion : Dieu s’occupe de son église

« Sauve, Eternel ! car les hommes pieux s’en vont, Les fidèles disparaissent parmi les fils de l’homme. On se dit des faussetés les uns aux autres, On a sur les lèvres des choses flatteuses, On parle avec un coeur double. Que l’Eternel extermine toutes les lèvres flatteuses, La langue qui discourt avec arrogance, Ceux qui disent : Nous sommes puissants par notre langue, Nous avons nos lèvres avec nous; Qui serait notre maître ? Parce que les malheureux sont opprimés et que les pauvres gémissent, Maintenant, dit l’Eternel, je me lève, J’apporte le salut à ceux contre qui l’on souffle. Les paroles de l’Eternel sont des paroles pures, Un argent éprouvé sur terre au creuset, Et sept fois épuré. »[6]

Réal Gaudreault (Pasteur)

Église En Chemin


[1] Éthique, page 10 (Labor et Fides)

[2] Mat 15 : 7, Hupokrites = se dit de celui qui répond, qui réplique, un interprète, un acteur de théâtre

[3] Colossiens 3 : 9-10

[4] Éphésiens 4 : 25

[5] https://emcitv.com/bible/strong-biblique-grec-anakainoo-341.html

[6] Psaume 12 : 2-7

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8 Comments

  1. C,est tellement vrai et je me vois dénoncer ceux que je considère comme pharisiens(et je ne me trompe probablement pas) mais ce faisant je deviens le pharisien que je dénonce. Comme le dit un chant de Richard Toupin: car celui qui lance de la boue a certainement les pieds dedans! Celui qui parle en mal de son frère (même si ce qu’il dit est vrai) contribue à l’affaiblissement du Royaume de Dieu.

  2. Bonjour, nous cherchons la dernière prédication de décembre soit le 28 ou 29 , nous aimerions vivement la réécouter, est-ce possible ? Merci
    Puisse le Seigneur vous bénir et vous garder pour cette nouvelle année 2020.
    Lise Morin et Bernard Dumont

  3. Cher Pasteur Réal, le moins que l’on puisse dire, c’est que ta plume nous amène à se remettre en question.
    Je ne sais pas où tu les prends tous, mais chacun de tes *Points de vue bibliques* nous (Denise & moi) épatent.
    Y’a pas à dire; t’é fort ??

  4. «Le pharisaïsme consiste à posséder l’œuvre de Dieu plutôt qu’à se laisser posséder par Dieu et son œuvre…tant de paroles bien léchées qui en fin de compte ne sont que de pâles répliques théâtrales apprises par cœur en vue de maintenir les gens dans un engagement programmé que seul un discours assaisonné de paroles flatteuses séduit la naïveté d’un public qui en redemande» R. Gaudreault

    Ouf, quelle belle description d’une réalité de la vie de ces communautés “institutionnalisées” …qui ne voient plus clairs. J’assume le fait que j’aie moi-même assisté (passivement) à ces propos mielleux. Ce n’est que lorsque l’on découvre les failles et que n’en faire mention aux concernés nous classe insidieusement dans la catégorie des “critiqueux”, qu’on devient une menace. Le seul choix qu’une telle institution fait est d’exercer l’exclusion en accrochant au cou de l’exclue une affiche ʺpauvre lui, il s’en remettra bien un jourʺ. J’ajouterais que ce qui caractérise le pharisien assumé (je ne parle pas de ma tendance occasionnelle et désolante qui peut parfois avoir malheureusement choisie cette voie d’où le terme «assumé», mais bien de celui qui a intégré tout les patherns du pharisaïsme consciemment ou inconsciemment) c’est son intolérance face aux faits et le fait de le questionner sur un point de vue différent le déstabilise voire l’irrite. Et je ne parle pas ici de l’aborder de façon cavalière en affirmant une chose avec arrogance. Ce que j’ai remarqué (pour l’avoir vécu), c’est que plutôt que de chercher le dialogue, ce type de personnage se replie et (silencieusement), tu deviens l’indésirable à ne pas fréquenter. Et si tu reviens à la charge avec perspicacité (sans intention de heurter mais simplement établir un dialogue), son impuissance devant les faits se transforme en rejet ouvert. J’ai aussi vécu cela…désolant mais je confirme votre charge contre ce que vous qualifiez de produit de nos «structures organisationnelles et institutionnelles nous sont tellement précieuses que même le Seigneur n’arrive plus à s’y faire entendre»
    L’apôtre Paul a été confronté à de tels individus et organisations (ex: église de Corinthe) et d’ailleurs, il ne se prive pas de les dénoncer ouvertement dans l’Écriture (c’est un indésirable tant et si bien qu’on l’a malmené dit-il). Jésus en a incarné le parfait exemple et on connait sa fin. Vous en faite autant, et cela démontre de l’authenticité. Vous êtes rafraîchissant Réal.
    Un indice fort de l’activité spirituelle en vous. En Esprit…et esprit critique.
    Et j’en rends grâce à Dieu !
    «Le serviteur n’est pas plus grand que son maître. S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi»
    Jean 15.20

    • Effectivement, il arrive que le rejet de ceux qui tentent d’éclairer cette problématique soit la conséquence directe de ceux qui ne pouvant répondre aux effets de cet éclairage ait pour finalité le repli sur soi.

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