« Vous ne m’avez pas toujours »

Nous connaissons bien ce texte de l’Évangile de Marc où une femme verse sur la tête de Jésus un parfum de nard pur de grand prix. Outre le fait que cette femme pose un geste prophétique extraordinaire, c’est la réaction des apôtres et encore plus celle de Jésus lui-même qui surprend.

« 3 Comme Jésus était à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux, une femme entra, pendant qu’il se trouvait à table. Elle tenait un vase d’albâtre, qui renfermait un parfum de nard pur de grand prix ; et, ayant rompu le vase, elle répandit le parfum sur la tête de Jésus. 4 Quelques-uns exprimèrent entre eux leur indignation : A quoi bon perdre ce parfum ? 5 On aurait pu le vendre plus de trois cents deniers, et les donner aux pauvres. Et ils s’irritaient contre cette femme. 6 Mais Jésus dit : laissez-la. Pourquoi lui faites-vous de la peine ? Elle a fait une bonne action à mon égard ; 7 car vous avez toujours les pauvres avec vous, et vous pouvez leur faire du bien quand vous voulez, mais vous ne m’avez pas toujours. 1»

La réaction de Jésus a de quoi nous surprendre, car elle fait obstacle à notre conception de la compassion de Dieu envers les nécessiteux. Ici, Jésus se passe lui-même avant les pauvres et ce devant de nombreux témoins qui probablement, ont dû interpréter son geste comme étant quelque peu déplacé. « vous avez toujours les pauvres avec vous, (…) mais vous ne m’avez pas toujours. » Jésus ajoute même que son geste est une bonne action; une action meilleure que si on avait distribué la valeur de ce parfum pour aider les pauvres. Non, mais sans blague, si j’avais été témoin de la scène, je suis de ceux qui auraient surement jugé Jésus comme un être narcissique et imbu de sa personne. Comment concilier l’image du Dieu généreux qui se soucie toujours des pauvres et des estropiés avec un comportement qui a toutes les apparences de l’égocentrisme? Qu’est-ce que cette histoire peut bien nous apprendre sur Jésus-Christ?

Mise au point

Si vous avez l’habitude de lire mes textes, vous pensez peut-être que j’en ai contre les chrétiens qui s’impliquent à fond dans les œuvres humanitaires. Je risque fort de vous surprendre, car c’est tout le contraire. Le mouvement La Bible Parle dont je suis l’un des pasteurs soutient tout près de 600 enfants en Haïti depuis une dizaine d’années sans oublier que nous sommes propriétaire d’une importante clinique médicale du sud de ce pays dans laquelle nous soignons plusieurs centaines de personnes chaque année. En Afrique, nous avons creusé des puits dans des villages reculés du Togo, nous finançons la construction d’installations sanitaires dans des prisons du Cameroun et nous soutenons une école au Ghana. Nous sommes très impliqués au Bénin dans des œuvres humanitaires de toutes sortes puisque nous y avons quelques églises. Au Québec, nous possédons un centre qui accueille des centaines de marins des quatre coins du monde tous les mois à Ville de La Baie au Saguenay. Bref, nous injectons des centaines de milliers de dollars tous les ans dans les œuvres humanitaires.

En fait, les œuvres humanitaires ne sont pas le problème en tant que tel, ce sont les raisons qui motivent nos actions qui sont problématiques. Dans nos églises, nous croyons que les œuvres humanitaires ne sont pas pour Dieu une finalité en soit bien qu’elles témoignent de la bonté de Dieu. Là où sont les enfants de Dieu, la grâce et la bonté de Dieu s’y trouvent aussi. Cependant, nous croyons que ces œuvres arrivent en conséquence de la proclamation du message de l’Évangile et non l’inverse. L’Évangile n’est pas une conséquence des œuvres de bienfaisance, il est le cœur même de la mission de l’Église. Dans l’Évangile de Mathieu2, Jésus n’a pas demandé à ses apôtres d’aller de par le monde nourrir des pauvres, mais d’aller annoncer le message de la bonne nouvelle du salut et de faire des disciples. En chemin, ils ont aidé les pauvres.

Comment les gens viennent-ils à foi chrétienne?

Tout le bien que Jésus a fait lors de sa première venue n’a pas eu l’impact que nous croyons sur le cheminement salutaire des gens. La très vaste majorité des personnes qu’il a guéries n’ont pas suivi ses voies tout comme ceux, d’ailleurs qui ont manger des pains et poissons lors de la multiplication en Jean chapitre six. Des dix lépreux purifiés, un seul est revenu rendre gloire à Dieu. « 17 Jésus, prenant la parole, dit: Les dix n’ont-ils pas été guéris ? Et les neuf autres, où sont-ils ? 18 Ne s’est-il trouvé que cet étranger pour revenir et donner gloire à Dieu ? 19 Puis il lui dit : Lève-toi, va ; ta foi t’a sauvé.3 »

Est-ce là une raison pour ne pas s’impliquer sur le plan humanitaire comme chrétien? Certes non, mais il faut seulement savoir que si nous décidons de le faire, il nous faudra être libre de toute forme de duplicité. J’entends par là que notre action doit être authentique, c’est à dire, une action qui n’a pas d’agenda caché. Lorsque Jésus guérissait ou nourrissait des gens, il le faisait librement et gracieusement, sans plus. Ses actions n’étaient pas stratégiques et ne dissimulaient aucune autre intention que de montrer l’amour et la bonté du Père. Bien entendu, nombreux sont les miracles qui accomplissaient des prophéties, lesquelles étaient des signes de la messianité de Jésus.

Quelle place donner aux œuvres humanitaires dans nos églises?

Le problème est d’abord d’ordre théologique. Qu’est-ce qui alimente notre réflexion sur l’église et son action sociale? Est-ce la condition des valeurs culturelles ambiantes ou une saine théologie biblique? Autrement dit, est-ce qu’une bonne théologie doit orienter nos actions sociales, ou, est-ce la condition sociale des gens qui doit teinter notre théologie? Nous savons qu’une action sociale pertinente procure à l’église une visibilité utile à son développement dans la cité. Nous savons aussi qu’une église se doit de répondre efficacement aux besoins des gens qui vivent dans le quartier qui l’environne. Certes, mais attention, si l’Église trouve son unique pertinence dans l’action sociale en croyant que cette action attirera des gens à Jésus-Christ, ses membres risquent d’être bien déçus. Si même Jésus n’a pas attiré à lui des gens par ses miracles et ses actions sociales, probablement que nous échouerons aussi. Et la raison est simple, « Nul ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire ; et je le ressusciterai au dernier jour4» Nombreux sont ceux qui l’ont écouté, mais seuls les apôtres que le Père lui a donnés ont persévéré jusqu’à la fin.

Les leaders des églises pénétrées par le courant émergeant semblent tellement à l’écoute des besoins de l’homme dans la culture postmoderne qu’ils fondent toutes leurs actions sur ces besoins-là. Ils veulent que l’église réponde d’abord aux besoins des hommes parce que disent-ils, autrement ces derniers ne répondront pas à l’Évangile. Dans cet angle de vue, l’église est une entité humaine qui doit se rendre elle-même responsable du salut des hommes. Est-ce bien là une approche que l’Écriture défend? L’Église doit répondre à l’appel de Jésus qui en est le chef et non répondre aux inquiétudes et aux tourments des hommes qui persistent dans leur rébellion contre Dieu. L’Église n’a pas à se justifier d’exister aux yeux de ce monde. Si l’Église a pour mission de faire connaître l’amour de Dieu, elle n’a pas à le faire en se cherchant une pertinence autre que celle qui lui vient de celui à qui elle appartient.

Ma courte histoire

Non seulement l’Écriture enseigne-t-elle que l’œuvre du salut est entièrement l’œuvre de Dieu, mais en plus, ce phénomène est vérifiable sur le terrain. J’ai pu observer dans ma carrière pastorale que les gens qui se sont tournés vers Dieu pour être sauvés sont venus par d’autres chemins que ceux par lesquels nous espérions les voir arriver. Au départ, nous étions convaincus que nos bonnes œuvres attireraient des gens à Christ, mais non, les choses se sont passées comme Dieu l’avait prévu d’avance et non comme nous l’imaginions. Cela dit, nous persévérons avec joie de continuer à faire du bien partout où le Seigneur nous appelle à le servir, car nous savons que Dieu prend plaisir aux bonnes œuvres. Nous savons que notre Dieu est un Dieu de compassion qui aime la veuve et l’orphelin et qu’il prend plaisir à voir ses enfants être les témoins de sa grâce et sa bonté partout où sa main nous conduit.

Réal Gaudreault

1Marc 14 : 3-7

2Mathieu 29 : 18

3Luc 17 : 17-19

4Jean 6 : 44

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