Témoin de Christ, sans l’Évangile?

Parait-il que ce n’est pas ce que nous disons (le message) qui a le plus d’impact sur les incroyants, mais la qualité du témoignage qui se dégage de nos bonnes actions. Une célèbre phrase attribuée à Saint François d’Assise le disait ainsi « Prêche tout le temps l’Évangile et, si nécessaire, utilise des mots.» Évidemment, qui oserait s’opposer à une telle sagesse? Effectivement, bien des gens rejettent l’Évangile parce que les rares chrétiens qu’ils connaissent ont une conduite qui ne fait pas honneur au message qu’ils prétendent croire. Cependant, le reproche qu’on entend ces temps-ci vise plutôt les chrétiens qui se comporteraient trop en chrétien. Autrement dit, il vaudrait mieux que les chrétiens dissimulent leur identité chrétienne derrière un comportement un peu plus, disons, humaniste. Voilà l’idée en gros, les chrétiens devraient adopter une posture qui soit moins en rupture avec la culture postchrétienne et postmoderne.

Or, rien dans l’Évangile ne propose un tel rapprochement. Le Nouveau-Testament est totalement muet au sujet d’une démarche de bon goût qui chercherait à redorer l’image de l’Église ou celle de Dieu pour un monde qui n’en veut plus. Si donc les incroyants doivent rencontrer Jésus-Christ par l’heureux témoignage des bonnes actions des chrétiens, il s’en suit que l’amorce du salut n’est plus fondée sur l’œuvre de Christ à la croix, mais sur l’œuvre du chrétien en ce monde. Une fois de plus, le scandale de la croix est caché derrière la bonté humaine des chrétiens bien intentionnés.

Relativisme et biblicisme

À l’heure des médias sociaux où les chrétiens sont bombardés d’informations de toutes sortes, il n’est pas facile de se faire une opinion qui vienne apaiser leurs nombreux questionnements. Comment se positionner sur telles ou telles questions morale, politique ou éthique? Notre monde est de plus en plus complexe et le rejoindre avec l’Évangile l’est tout autant. Les chrétiens doivent-ils s’intégrer à fond dans la culture de ce monde ou doivent-ils plutôt s’en préserver tout en rejoignant par l’Évangile les incroyants qui s’y trouvent? Voilà une question fort complexe. Dans un article1 de la revue Réformée, Paul Wells[1] traduit bien l’ambiguïté dans laquelle se retrouvent les chrétiens occidentaux qui manifestement, aiment beaucoup deux choses : ils aiment Jésus et, ils aiment le monde. En parlant des méga-church, il note que :

« Ces Églises ont, en quelque sorte, commercialisé la foi en créant un univers aseptisé, sécurisé et divertissant, où toute la famille, notamment bourgeoise, est à l’aise et apprécie de se trouver dans un milieu « à part », à l’abri des crises de la société et loin des malheurs du monde. Aux États-Unis, il est possible de passer toute sa vie dans des complexes ecclésiastiques où l’on peut trouver coiffeur, « resto », gymnase, disco avec le soft-rock chrétien aussi bien que la louange. La réussite des évangéliques dans ce pays tient au fait qu’ils ont su s’adapter au monde et aux valeurs de la postmodernité. Le contenu de la foi plus ou moins assurée est noyé dans la cool communication d’un message qui promet le bonheur dans cette vie et sa prolongation dans celle qui est à venir.[2]»

En réaction à cela…

Au mépris de la culture évangélique américaine, un nouveau mouvement chrétien (dit émergeant) se lève et navigue à contre-courant de cette bourgeoisie chrétienne devenue trop gênante. Se disant plus près des réelles aspirations de Jésus-Christ envers l’homme, ce courant développe un Évangile de compassion qui pleure avec le monde les grands désespoirs de l’humanité. Plus près des réalités de la misère humaine, ces derniers se font un devoir de restaurer l’image d’une église jugée trop doctrinaire et trop peu humaine. L’Église d’aujourd’hui doit s’imprégner de la culture de son temps s’il elle souhaite demeurer pertinente au regard de la société qui, pour des raisons de mauvaise image, s’en éloigne de plus en plus. Non seulement cela, mais ce nouveau christianisme considère l’espace de l’expression culturelle comme un lieu qui privilégié la rencontre et l’échange entre les chrétiens et le monde. Les chrétiens doivent cesser de mépriser la culture artistique humaniste, car là se trouve, en ce monde, ceux qui réfléchissent aux moyens à prendre pour sauver ce monde en perdition certaine.

Sauver le monde, le grand rêve des humanistes athées. Mais oui, puisque l’univers des artistes et des créateurs est lui aussi concerné par la bêtise humaine dont il veut affranchir le monde. Alors, pourquoi ne pas se joindre à sa quête d’un avenir meilleur pour la planète? Construisons une version chrétienne de la résistance écologique et comme les humanistes athées, militons pour plus justice dans le monde en réduisant les inégalités sous toutes ses formes. Puisque les incroyants ne veulent plus être des nôtres, soyons un peu plus des leurs, peut-être les rejoindrons-nous plus efficacement.

Trouver l’Évangile dans les bonnes actions du monde

Puisque l’Église n’arrive plus à rejoindre le monde avec le message de l’Évangile, elle tente de trouver des traces de l’Évangile dans les projets des hommes. Si donc des organismes humanitaires prennent soin des pauvres, ce geste de générosité revêt donc, sans le savoir, une part du message de Jésus qui nourrissait aussi les pauvres. Vous voyez l’idée? Tout ce que ce monde fait de bien et qui à la fois s’apparente aux valeurs du Nouveau-Testament peut donc être vu comme l’incarnation des valeurs de l’Évangile en ce monde. Comme si le monde dans sa bonté naturelle était finalement plus chrétien qu’il ne le sait. Et pourquoi les chrétiens ne manifesteraient-ils pas un peu plus d’ouverture même envers les religions dites païennes?

Paul Wells ajoute encore « Dans cette perspective, la doctrine chrétienne n’a que peu d’intérêt ou de place. L’expérience spirituelle, en revanche, est un produit intéressant que l’Église peut commercialiser et que l’individu consommera parce que cela lui plaît. Le christianisme est en train de perdre son fondement objectif et prend place, comme une autre, parmi les nombreuses formes de spiritualité présentées à nos contemporains. Le choisir plutôt que la sagesse du dalaï-lama, par exemple, relève tout simplement de la préférence individuelle. Le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions, dit-on. Le relativisme qui coupe la foi de son fondement biblique et qui aboutit à une foi subjective est de ce type.»

« Si nécessaire, utilise des mots »

J’aime bien la sagesse de Saint-François-d’Assise, mais je crains que le christianisme actuel la récupère à son compte pour justifier son éloignement volontaire de l’Écriture. Oui, car une des idées qui gagne une bonne partie de la nouvelle génération de chrétiens consiste à se fabriquer un personnage chrétien conforme à une stratégie de mise en marché qui vise à infiltrer le monde au nom de l’Évangile en taisant le plus possible ce qui fait la force de son message. Ici, Jésus est caché quelque part dans le comportement généreux du personnage chrétien qui s’efforce de se faire remarquer par sa bonté personnelle.

Les évangéliques québécois accusent souvent les catholiques d’avoir caché Jésus derrière des statues et des rituels sans nombre, mais réalisent-ils qu’ils sont eux-mêmes en train de cacher Jésus derrière le comportement du bon chrétien silencieux qui préfère montrer ses bonnes œuvres plutôt que Jésus-Christ crucifié? Réalisent-ils que cette démarche n’est rien de plus qu’une nouvelle forme d’hérésie qui replace l’homme et ses réalisations au centre du message, quelque part entre Dieu et le peuple? Réalisent-ils qu’une fois de plus on fait violence à l’Écriture sous le prétexte inavoué que ses doctrines sont trop dures à entendre pour l’incroyant?

Réalisons-nous que ce chemin est celui qui mène à la fin de l’Église telle que nous la connaissons. Dans le même article, Paul Wells nous rappelle avec justesse que : « le sola Scriptura est fondamental. Sans ce sola, le sens des autres sola est inévitablement modifié. Quand l’Écriture est considérée comme une autorité parmi d’autres, son statut se trouve relativisé, et celui de la foi, de la grâce et du service de Dieu le sont également. Le protestantisme perd alors le fondement de sa spécificité religieuse ainsi que sa vitalité spirituelle, même s’il vivote comme phénomène socioculturel. » Plus loin il ajoute : « L’identité de la foi évangélique et, par implication, du protestantisme dépendra des capacités dont on fera preuve, face à cette situation, pour réagir et pour maintenir avec lucidité ses distances par rapport à l’esprit du siècle, et cela dans tous les domaines de la vie individuelle et collective. »

Souvenons cependant que l’Église est bien plus qu’une institution humaine et que rien ne saurait mettre fin à sa présence sur terre sinon le Seigneur lui-même.

Réal Gaudreault

[1] . Wells est professeur de théologie systématique à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence et éditeur de la revue.

[2] http://larevuereformee.net/articlerr/n239/le-role-de-l’ecriture-dans-l’identite-protestante-i-relativisme-et-biblicisme

 

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3 Comments

  1. Je crois comprendre que l’on s’élève haut et fort afin d’avertir ou contrer un mouvement d’implication sociale des églises évangéliques qui négligeraient la prédication de la croix. Toutefois, devant le manque d’engagement évident de nos églises au cours des décennies passées, il m’apparaît normal qu’il y ait un retour du balancier. Il ne s’agit pas de cesser la prédication de l’évangile mais de s’approcher des gens afin d’obtenir leur attention. Jésus et les premiers disciples guérissaient les malades, chassaient les démons, faisaient du bien; alors les gens avaient des orielles pour entendre. Je n’ai jamais vu autant d’efforts pour répandre la bonne parole que de nos jours. Quant aux megaéglises américaines, je constate que plusieurs d’entre elles servent la cause des missions dans le monde entier. Il y aura toujours de l’ivraie dans l’église; dans de grandes églises il y en a tout simplement plus. Merci pour la réflexion et l’autocritique.

    • Bonjour Daniel
      Ton propos est tout à fait juste. Mais le problème que je tente d’exposer est dans le fait que les églises émergentes croient que leur mission est de réhabilité l’Église au yeux des gens de ce monde et c”est là que se trouve le piège. Dans le passé des organisme chrétiens (YMCA, Armée du Salut et plusieurs autres) se sont sécularisés parce qu’ils croyaient que le devoir premier de l’Église était de nature humanitaire. Mais non, l’humanitaire accompagne l’œuvre de Dieu mais n’en est jamais le but. Un œuvre chrétienne qui monopolise tous ses efforts sur l’humanitaire et qui met l’écriture au service de cet effort se sécularisera complètement tôt ou tard.

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