Le cartel du rire, une nouvelle mafia?

Au Québec, l’humour fait partie du paysage au même titre que la neige, la poutine et le hockey. D’Olivier Guimond à Marc Favreau (Sol), du capitaine Bonhomme à Yvon Deschamps, Daniel Lemire et Claude Meunier, les Québécois ont toujours su rire d’eux-mêmes sans vraiment s’en offusquer. On rit de nos politiciens, de nos artistes, de nos institutions publiques, bref, on rit de tout et de rien parce que, comme on dit au Québec, c’est juste pour rire. Cependant, ces grands de l’humour dont l’ingéniosité ne fait aucun doute n’ont jamais eu besoin d’assaisonner leur sketch de pipi-caca et les garnir ensuite d’injures grossières et d’attaques personnalisées pour être appréciées.

Un peu d’histoire

Avant les années 80, on n’apprenait pas à un comique à être drôle; ou bien il était drôle, sinon, il devait faire autre chose de sa vie. En 1983, Gilbert Rozon créait le Festival Juste pour rire afin d’offrir aux humoristes québécois une plateforme unique et seulement pour eux. Puis l’École nationale de l’humour voit le jour en 1988, elle permet à une nouvelle génération d’humoristes de multiplier l’offre du rire. Telle une usine de montage, cette école fabrique des comiques à la chaine, rentabilité oblige, on accepte tout le monde.

Désormais, la compétition est forte, vers les années 2000, le nombre de spectacles d’humour se multiplie au point de porter ombrage au milieu des acteurs. Pour les producteurs de show d’humour, la quantité semble plus payante que la qualité. C’est à ce moment que la vulgarité devient une marque de commerce pour les moins brillants d’entre eux. L’humour grossier nécessite beaucoup moins d’intelligence et d’esprit, et de plus, la sottise aura toujours son public. L’humour « trash » fait vendre des billets. Même des femmes humoristes s’y risquent, car ça marche fort.

Une véritable industrie

Ils sont nombreux les humoristes, on les voit partout, en spectacle, dans les films; ils ont leur « talk-show », leurs téléromans, leurs festivals, c’est maintenant une puissante industrie. Cette omniprésence dans les médias leur a permis d’acquérir un véritable « pouvoir » public. Le pouvoir de faire rire, certes, mais aussi un pouvoir qui leur permet d’intimider, de harceler, de détruire des réputations au nom de la liberté d’expression. Ce pouvoir est tellement puissant que personne, mais vraiment personne n’ose remettre en question la validité de leur travail sous peine de devenir la tête de Turque de ce cartel du rire. Mais oui, telle la mafia, ils font payer très cher à tous ceux qui leur résistent. À cet égard, souvenons-nous seulement des attaques incessantes qu’a subies Denise Bombardier lorsqu’elle a osé dire en 2005 que certains humoristes québécois manquaient de talent et de vocabulaire[1].

Le cartel du rire libère sa meute

Il aura simplement fallu qu’un jeune homme handicapé du nom de Jérémy Gabriel se tienne debout devant Mike Ward pour que le cartel du rire libère sa meute de loups enragés pour déchiqueter l’intrus sur la place publique. Horreur nous disent-ils, « on veut nous priver de l’exercice de la libre expression, on veut nous censurer et freiner notre sainte créativité artistique, quel scandale ». Tels des tireurs embusqués, ils tirent sur tout ce qui remet en question le « pouvoir » dont ils se croient les justes propriétaires. Il ne faut surtout pas oublier que toute cette affaire ne vient pas d’abord de l’acte de censure de l’assureur du Gala des Oliviers, mais de la cause qui oppose Jérémy Gabriel et Mike Ward devant le Tribunal des droits de la personne.

Assez c’est assez!

J’espère au moins une chose dans tout ce débat, que les humoristes comprennent qu’ils ne sont pas exemptés de la nécessité d’imposer des limites à leur liberté d’expression. Ils abusent impunément du pouvoir que leur donne les tribunes médiatiques et tant pis si c’est un Tribunal qui les ramène à l’ordre. Le fait qu’ils aient choisi d’approuver la nomination de Mike Ward à titre d’humoristes de l’année montre bien toute l’arrogance qui les anime. Et surtout, cette affaire révèle bien à quel point le pouvoir qu’ils se sont donné au cours des ans leur a fait perdre de vue le gros bon sens commun qu’on généralement tous les hommes, le savoir-vivre.

Dans son ouvrage De l’esprit des lois, Montesquieu déplorait le problème de l’homme dans son rapport avec le pouvoir : « Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser » « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut, que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir »[2]

Réal Gaudreault

[1] http://fr.canoe.ca/divertissement/artsscene/nouvelles/archives/2005/02/20050224-054329.html

 

[2] De l’Esprit des Lois, XI, 4

 

Facebooktwittermail
rss

4 Comments

  1. Bravo Real,
    je ne peux m’empêcher de me demander si ton commentaire avait été élu au gala des Olivier si la liberté d’expression ne aurait pas été questionné par les humoristes eux même

    • Effectivement, les humoristes semblent enfermés dans un raisonnement circulaire faux dont ils n’arrivent pas à s’échapper.

  2. De plus, ils se donnent des titres pompeux “professionnels de l’humour”
    Ils disent que traiter des sujets chauds provoque des discussions qui font avancer les choses. Mais il n’y a que leur point de vue qui sera considéré comne valable, c’est peine perdue.

  3. «…sachant avant tout que, dans les derniers jours, il viendra des moqueurs avec leurs railleries» 2Pi 3.3
    Voilà qui nous rappelle où nous sommes rendus en regard du plan de Dieu et des derniers jours.
    Son corollaire eschatologique qui devrait nous interpeller aujourd’hui:
    « Prépare-toi à la rencontre de ton Dieu » Amos 4.12
    Veillons et prions !

Répondre à Réal Gaudreault Annuler la réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.