L’affaire Mike Ward ou, l’apologie de la méchanceté?

Le discours dans l’affaire opposant Jérémy Gabriel à l’humoriste Mike Ward a atteint cette semaine un niveau de démence qui mérite une place de choix dans le livre Guinness des records dans la section : insulte à l’intelligence des Québécois. Jusqu’ici, plusieurs humoristes, amis de Ward, avaient tenté de défendre l’indéfendable au nom de la liberté d’expression.   Selon eux, si Mike Ward était reconnu coupable, les conséquences seraient terribles pour la communauté des humoristes qui n’auraient plus guère le choix de s’autocensurer. Cette situation intolérable serait une atteinte grave à leur très sainte créativité artistique.

Déjà depuis quelques mois, ce discours écumait l’odeur fétide d’un mépris arrogant dont l’arôme plaît tant à ceux qui se croient à l’abri des règles les plus élémentaires de la bienséance. C’est grands jouisseurs de l’immunité artistique sont presque unanimement convaincus qu’il est encore permis, en 2016, pour un humoriste de faire de l’humour trash sur le dos d’un enfant handicapé. Osons le dire, les « jokes » de Mike Ward sur Jérémy Gabriel n’étaient pas de l’humour, mais de l’intimidation.

Julius Grey

L’avocat de Mike Ward, Me Julius Grey a affirmé le 26 février devant la Cour du Québec des propos d’une absurdité sans précédent. Dans son plaidoyer, il a affirmé que « Si le Tribunal donne raison à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) dans le procès l’opposant à Mike Ward, le Québec deviendra une terre sans comédie grinçante où il faudra dire des choses bonasses et gentilles.[1]» Vous avez bien lu, selon Julius Grey, l’avenir de l’indice du bonheur des Québécois repose sur la créativité artistique des gens comme Mike Ward.

Mais ce n’est pas tout, ensuite Me Gray en a remis un peu plus en affirmant que Mike Ward : « ne s’est jamais moqué du handicap de Jérémy Gabriel dans ses sketches diffusés sur l’internet et mis sur scène lors de sa tournée « Mike Ward s’eXpose ». « Il y a une grande différence entre les remarques gratuites et les remarques qui font avancer des débats (…) Le but artistique est indéniable. On a le droit de questionner les [vaches sacrées] de la société et c’est ce qu’il a fait », a-t-il poursuivi. ».

« Mike Ward ne s’est jamais moqué du handicap de Jérémy Gabriel »

Puisque selon Me Grey, son client ne « s’est jamais moqué » du petit Gabriel, je vous propose de relire l’extrait de Ward qui est cœur de cette affaire. Jugez-en par vous-mêmes : « Cinq ans plus tard, dit-il, y est pas encore mort ! Il meurt pas, le petit tabarnak ! Moi, je le défendais, comme un cave. Et lui, y meurt pas. Moi, je te défends : toi, tu crèves, câlisse. Asti de sans-coeur ! Y est pas tuable. Je l’ai vu aux glissades d’eau à Bromont, l’été dernier, j’ai essayé de le noyer. Pas capable ! Pas capable. Je suis allé voir sur internet, pour voir c’est quoi, sa maladie. Sais-tu c’est quoi qu’il a ? Y est lette, esti ! ».

Selon vous, s’agit-il d’un contenu humoristique ou haineux? Pour le célèbre avocat, il s’agit davantage de simples « remarques qui font avancer des débats. » Mais de quel débat parle-t-on ici? Non seulement le ton est haineux, mais qui plus est, il encourage l’intimidation par des menaces de mort, mais c’était « JUSTE POUR RIRE », bien entendu. Est-ce à dire que l’enrobage humoristique excuse tout. Me Grey, si, comme vous l’affirmez, les paroles prononcées par votre client ne constituent pas de la moquerie, dites-nous alors ce qu’est la moquerie pour vous? Aurait-il fallu que Ward assassine Jérémy Gabriel comme il le déclare lui-même (en joke) dans ce texte pour que vous soyez en mesure de lui reprocher la moindre faute? N’êtes-vous pas en train de faire l’apologie de la méchanceté?

Plusieurs de ses amis ont tenu à rappeler dans les médias que Mike est un super bon gars dans la vie privée, ce dont je ne doute nullement. Or, ce n’est pas la vie privée de l’humoriste qui est au cœur du litige devant la cour, mais de ses propos disgracieux prononcés à répétition devant des milliers de personnes. Ward est poursuivi parce qu’il a tenu des propos haineux et intimidants contre un enfant handicapé en public. Et attention, une salle de spectacle n’est pas un lieu privé comme certains le prétendent. Et tous ceux qui ont rigolé en écoutant cette mauvaise blague de Ward sont tout aussi coupables de lâcheté que des ados dans une cour de récréation qui s’amusent à observer passivement un épisode d’intimidation. Et que dire de la réaction des amis de Mike Ward si ce dernier s’en était pris à leur propre enfant? Le défendraient-ils encore?

Conclusion

Cette blague de Mike Ward n’était pas de l’humour, mais de l’intimidation. Des dizaines de milliers d’enfants en sont les malheureuses victimes à tous les jours dans nos écoles québécoises. Le Québec est parmi les régions du monde où le nombre de suicides chez les jeunes demeure encore très élevé. Ce n’est pas moins de 1200 jeunes qui s’enlèvent la vie chaque année[2], soit trois par jour. Et dans bien des cas, le harcèlement et l’intimidation en sont les principales causes. Et nous, au Québec, on permet à un humoriste tel que Mike Ward d’intimider publiquement un enfant handicapé au nom de sa liberté d’expression. Selon moi, les humoristes ne sont pas en train de défendre leur droit à la liberté d’expression dans cette affaire, ils s’enlisent plutôt dans l’apologie de la méchanceté.

Réal Gaudreault

[1] http://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-affaires-criminelles/proces/201602/26/01-4955066-proces-de-mike-ward-le-quebec-deviendra-une-terre-sans-comedie-.php

 

[2] http://www.google.ca/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=4&ved=0ahUKEwi7lfbPlJjLAhVDW5QKHZiODJYQFggwMAM&url=http%3A%2F%2Fwww.aqps.info%2Fmedia%2Fdocuments%2FPortrait_statistique2015_suicide_Quebec_INSPQ.pdf&usg=AFQjCNHrnpSDfZHjSOK2zv6LuBNhLqylpw&sig2=IJzleT_KPX_kOLV5CKjt6w&bvm=bv.115339255,d.

 

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3 Comments

  1. moi , je n’appelle plus ça des jokes, je suis écoeuré de voir combien de fois des humoriste écorches des gens handicapée dans la société , il sont obliger se battre dans la vie de tout les jours sans que un écoeurant les abaissent davantage, je me rappelle un humoriste a dit un jour que sa laveuse ne fonctionnait plus et il a pris un épilepsique et il la sacré dans , bien mon épouse se bat a tout les jours avec l’épilepsie grand mal et sa la pas bien passé cette joke dans son coeur . Que les gens humoristes vive ce que les gens handicapée a tout les jours , il la trouveront pas comique .J’aime pas Mike Ward il a une gueule sale, de l’humour noir .

  2. C’est absolument inapproprié de parler d’un autre être humain de la sorte…. Vraiment dégradant! Ces vulgarités doivent cesser et il doit y avoir des excuses publiques! Dans ce monde on a le droit de vivre un point c tout! Live and let live! Aime ton prochain comme toi-même! Quelle bévue blessante pour cet enfant innocent dans cette affaire! Voir au-delà de ce qui est visible! Je travaille souvent avec des enfants différents et ils sont si importants…. et souvent plus humains dans leur approche que bien des gens au quotient intellectuel plus élevé! Avouons nos erreurs c difficile mais pas impossible!

  3. Ma première réaction en lisant ce que Mike Ward avait fait a été de me sentir en colère. Comment pouvait-il s’en prendre ainsi à enfant qui a eu le malheur de naître avec un grave handicap et, par le fait même, une fragilité émotive plus grande, sans doute… Surtout qu’il n’avait que 15 ans à l’époque. Je ne me gêne pas pour le dire : Je n’aime pas le genre d’humour de M. Ward. Je préfère de loin la subtilité d’Yvon Deschamps ou de Boukar Diouf qui font avancer les choses en nous amenant à rire de nous-mêmes et à nous questionner sur nos travers. Puis j’ai essayé objectivement de regarder les deux côtés de la médailles : M. Ward fait un genre d’humour qui se veut « baveux » et non censuré. Ce qu’il a expliqué, c’est que le jeune chanteur dont il parle a choisi librement de devenir un personnage public (possiblement avec l’aide de ses parents qui voulaient le savoir heureux). Est-ce que ce jeune homme aurait atteint une célébrité sans son handicap? C’est certain que chacun a le droit d’aimer ou de ne pas aimer ce qu’il fait. C’est vrai pour n’importe quel chanteur. C’est aussi vrai qu’on se moquait des grandes oreilles de Gainsbourg et des dents croches de Céline Dion avant qu’elle les fasse réparer. Combien d’artistes se voient ainsi parodiés ou critiqués sans ménagement? Il y a peu de chanteurs handicapés.. Reste à savoir si Jérémy doit être vu avant tout comme un artiste ou plutôt comme un handicapé qui chante. Doit-on penser que ceux qui ont moussé sa carrière se sont servis de son handicap pour attirer la pitié et faire des sous? Pourtant, les handicapés ne demandent-ils pas habituellement d’être traités comme des gens normaux? C’est ce qu’a fait Mike Ward, sans doute maladroitement, mais Jeremy ne devrait-il pas essayer de comprendre qu’il va devoir s’endurcir s’il veut rester chanteur et se réjouir qu’on ne lui ait pas fait de fleurs parce qu’on a refusé de le percevoir comme quelqu’un qui fait pitié.

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