Je suis né de nouveau au milieu des années 80, à l’époque où la plupart des chrétiens étaient âgés entre 18 ans et 30 ans. À cette époque au Québec, le mouvement évangélique était jeune, dynamique et en pleine progression. La très grande majorité des pasteurs avaient plus ou moins trente ans. La plupart des églises étaient petites, sans moyens financiers et très peu d’entre elles possédaient un bâtiment. Bref, tout restait encore à construire.
C’est l’époque où la candeur et la naïveté de la jeunesse nous inspiraient les projets les plus ambitieux. Mais surtout, c’est l’époque où personne ne nous disait quoi faire et comment le faire. Il n’y avait pas cette autre génération de pasteurs plus expérimentés pour pointer nos erreurs et nous rappeler notre ignorance. Non, il n’y avait que nous, nos faibles moyens, la grâce de Dieu et nos rêves impossibles. Comme les apôtres Pierre et Jean, nous n’avions ni or et ni argent, mais nous étions convaincus que le Dieu vivant allait faire de grandes choses[1].
En ces temps, je regardais toujours droit devant car c’est là qu’il se passait quelque chose. Il n’y avait pas derrière nous une autre génération de jeunes chrétiens qui voulait bouger et changer les choses. En fait, nous étions la jeune génération qui bougeait les choses. Puis, tout à coup, dernièrement, en regardant dans le rétroviseur, j’ai pris conscience qu’il se passait plus de choses en arrière qu’en avant. Wow, quand même!
Trente ans plus tard, nous voilà vieux, enfin, presque vieux. Nous avons tout construit, aujourd’hui nous disposons de vastes églises spacieuses, équipées à la fine pointe des dernières technologies dignes des plus beaux studios télévision. Eh oui, Dieu a béni, et ce même, au-delà de nos attentes. Je vous le dis, marcher avec Dieu, ça fonctionne vraiment, j’en suis témoin.
Une nouvelle génération se pointe
La nouvelle génération qui se pointe n’a pas la même chance qu’on a eue. Je m’explique. Les jeunes de nos églises héritent d’un système déjà construit, fonctionnel et bien structuré. Nous croyons que cette richesse est un avantage qu’ils apprécient, mais nous oublions qu’aussi intéressant que cela puisse paraitre, il manque ici un élément fondamental : un défi. Nous leur proposons un projet clé en main dénué de tout défi. Nous ne savions pas à l’époque que notre plus grande richesse résidait dans la pauvreté de nos faibles moyens. C’est précisément parce que nous n’avions rien qu’il nous fallait jeûner, prier, crier, voir même hurler à Dieu pour qu’il se manifeste miraculeusement. Cette pauvreté nous a rendus riches d’un Seigneur plus présent et agissant dont nous ne pouvions plus nous passer. C’est dans notre pauvreté que Dieu s’est rendu réel à nos cœurs et nos vies.
Voilà le défi : est-ce que les jeunes de nos églises intéressés à reprendre le flambeau de l’Évangile ont envie de maintenir et reproduire tel quel notre modèle ecclésial? J’ai bien dit ” notre modèle ecclésial” car rien ne garanti que ce modèle est aussi biblique que nous aimons le croire, et ça, c’est une toute autre affaire. On veut bien faire un peu de place aux jeunes dans nos structures, mais à la seule condition qu’ils acceptent d’être les gardiens fidèles du temple que nous avons construit.
La rupture générationnelle
Dans les faits, il faut reconnaitre que les églises évangéliques traversent actuellement une période de transition tumultueuse qui soulève bien des questionnements. À l’évidence, la nouvelle génération n’est pas très portée à chercher conseil auprès d’une génération à laquelle elle ne s’identifie pas vraiment. C’est là un problème tout à fait collé à la réalité du monde postmoderne. Si pour les anciens, le passé évoquait ce qui sûr et digne de confiance, pour les postmodernes le passé symbolise ce qui est résolument dépassé, voire même, ce qui a échoué. La plupart des jeunes du troisième millénaire (les milléniaux) sont réfractaires aux modèles institutionnels du XXe siècle qu’ils ne souhaitent pas reproduire. On appelle cela un changement de paradigme.
Donc, le défi de l’église actuelle n’est pas seulement de réussir à passer le flambeau à la génération suivante, mais mieux encore, d’arriver à le passer à une génération qui est quelque peu hostile à l’héritage laissé par les églises du siècle précédent.
Un nouveau rapport à l’autorité
En tant que pasteur, je remarque fort bien que les jeunes dans la vingtaine et la trentaine ne réagissent pas, devant l’autorité, de la même manière que les gens de ma génération. Non pas qu’ils rejettent les valeurs bibliques de l’autorité, ils ont plutôt un problème avec la forme, l’approche, c’est-à-dire, comment ils se sentent traités par les gens en autorité.
Dans ma génération, les pasteurs avaient une approche plus autoritaire et beaucoup plus directive. La plupart ne se sentaient pas obligés de justifier leur décision et leur vision des choses car on les regardait comme des serviteurs de Dieu avant même qu’ils aient eu à se montrer à la hauteur de cette honorable fonction. S’opposer à de tels hommes revenait à s’opposer à Dieu. Mais maintenant, ça ne suffit plus.
On pourrait croire que c’est là un problème d’insoumission à l’autorité, mais en fait, c’est davantage un problème de pertinence. Aujourd’hui les gens qui occupent des positions d’autorités sont condamnés à être compétents, stimulants et respectueux. Il en va de même pour les pasteurs. Dans ma génération la mesure du respect était liée à l’obéissance que j’obtenais des membres de mon église. Dans mon univers pastoral à moi, j’étais un chef, un oint de l’Éternel, j’avais toujours raison et si je me trompais, mon erreur était voulue de Dieu. J’exagère un peu tout de même, mais à peine.
Ce que je sens maintenant dans la génération actuelle, c’est que je devrai user moins de mon statut de chef et d’autorité et entrer davantage en relation avec les gens et prendre le temps de les écouter pour mieux comprendre qui ils sont. Vous savez quoi, les jeunes répondent très respectueusement à ce type d’approche qui les inclut davantage dans le partage des idées et des décisions. Dans le monde d’aujourd’hui, la mesure du respect que j’obtiens des gens est proportionnelle à l’attitude respectueuse que j’aurai envers eux.
Dans le second article de cette série sur le leadership et la relève, nous verrons comment arrivé à effectuer une transition générationnelle qui soit le plus harmonieuse possible. Oui, il est possible de joindre les forces de deux générations qui s’accompagnent mutuellement dans le changement.
Réal Gaudreault
[1] Actes 3 , 6
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