La droite contre la gauche, vraiment? (Élection américaine)

Au-delà des colères des uns et des autres qui voient dans la victoire de Donald Trump l’habituel clivage entre la droite républicaine et la gauche démocrate, il y a autre chose de plus fondamental encore qui devrait retenir notre attention. L’échec de la mondialisation des marchés économiques est au cœur des résultats de cette élection bien plus que l’appartenance traditionnelle aux deux grands partis politiques américains.

On le sait maintenant, bon nombre de démocrates ont voté pour Trump et de nombreux républicains ont préféré Clinton, faute de mieux. Qui plus est, choses inattendue, des latinos et des noirs ont aussi voté pour Trump. Le journal La Presse rapporte que les femmes de race blanches ont majoritairement voté pour Trump[1]. Mais aussi, beaucoup de chrétiens ont choisi Mme Clinton.

Qu’est-ce que tout ça veut dire?

Les travailleurs américains sont-ils vraiment avantagés par les accords de libre-échange? Du fait que les États-Unis sont la première économie mondiale, il semble que la réponse est non. Il était prévisible que des millions d’emplois allaient quitter les terres de l’Oncle Sam parce que l’ouverture des marchés allait permettre aux grands capitalistes de relocaliser leurs usines ailleurs dans le monde où la main d’œuvre est abondante et moins bien rémunérée.

Mais du point de vue des politiciens, l’ouverture des frontières allait attirer des entreprises étrangères susceptibles de créer de la richesse aux États-Unis. Cette approche est très alléchante pour les investisseurs de Wali-Street, sauf que, plus de richesse ne signifie pas, meilleur partage de la richesse. Les habitants des grandes villes américaines, là où sont les sièges sociaux et le monde de la haute finance, ont profité plus que quiconque de cette effervescence économique grâce à de bons emplois bien payés. Mais pour les gens des régions, c’est exactement l’inverse qui s’est produit.

Le monde rural, l’autre réalité

Je vivais à Ville de La Baie au Saguenay lorsqu’en 2003 la compagnie Abitibi Consolideted a fermé son usine de pâte et papier. Du coup, 640 ouvriers ont perdu leur emploi laissant cette municipalité de 22 000 habitants dans un désarroi économique cruel. Au-delà des pertes d’emplois, c’est la vie de tous ses habitants qui a été affectée durement. Des commerces fermés, l’exode des jeunes, divorces, etc.

C’est exactement ce qui s’est produit dans des centaines de villes américaines en milieu rural. La mondialisation a permis aux grandes multinationales de délocaliser leurs secteurs d’emplois ailleurs dans le monde à des coûts moindres. Et que dire de la méga-crise bancaire de 2008 qui a littéralement ébranlé l’économie mondiale, mais qui surtout a eu de graves conséquences sur la vie de millions d’Américains :

« Entre 2000 et 2010, l’industrie américaine a perdu près de 7 millions d’emplois passant de plus 24,6 à un peu plus de 17,6 millions de personnes employées. À titre de comparaison, les manufactures seules ne perdirent que deux millions d’emplois environ entre 1985 et 2000. Elles en ont perdu 6 millions environ entre 2000 et 2010.[2] »

Un coût est trop élevé

« Peu importe si la mondialisation a permis à des milliers d’Indiens ou de Chinois de sortir de la pauvreté; aux États-Unis, elle rime désormais avec menace économique et culturelle. Trump a martelé un discours intelligent sur le déclinisme social et identitaire, soulignant qu’Obama avait abîmé le pays, commente Jon Delano, journaliste politique à KDKA-TV à Pittsburgh, en Pennsylvanie. Même si la croissance est repartie, le taux de chômage au plus bas, la classe moyenne a payé le prix fort de la crise.[3] »

Qui sont les riches?

On pourrait croire que les richissimes Américains propriétaires de puissants holdings[4] auraient dû se donner pour mission de protéger les emplois aux États-Unis. Pourquoi ne l’ont-ils pas fait? Parce que les lois du marché économique mondial sont ainsi faites que les portefeuilles d’actions ne sont pas la propriété exclusive des milliardaires américains, les investisseurs sont partout sur la planète. La jeu de la spéculation boursière fait en sorte que les dirigeants d’entreprises, où qu’ils soient dans le monde, ne sont pas au service des travailleurs d’usines aux États-Unis, mais des acheteurs d’actions boursières qui veulent une seule chose, du rendement.

Agrandir le terrain de jeu

L’ouverture des marchés à l’échelle mondiale permet aux gens qui dirigent des entreprises dans les mégapoles américaines de se donner plus d’options pour réduire les coûts de production. Le siège social d’une entreprise peut être à New York, mais il n’est plus nécessaire que ses usines restent au Wisconsin si pour moins cher, le Mexique, l’Inde ou la Chine peuvent fabriquer n’importe quoi à moindre prix. Les gens d’affaires promettent mensongèrement la prospérité grâce à l’ouverture des marchés, mais en vérité, cette prospérité sera la leur et non celle des travailleurs. Le terrain de jeu s’est agrandi bien au-delà des frontières américaines pour les gens de Wall Street. D’où la frustration des travailleurs issus des régions rurales américaines pour qui l’« establishment » politique et financier ne fait que s’enrichir, non plus à leur détriment, mais au mépris même de leur existence.

Et les médias?

J’allais oublier un détail important, au cours des trente dernières années, les médias sont passés aux mains des riches industriels qui en contrôlent les contenus éditoriaux à leurs avantages. L’idée est simple, la meilleure manière d’éviter qu’un journal dénonce des magouilles financières est de l’acheter. Aux États-Unis, les journaux locaux indépendants appartenaient « à 50 groupes de presse qui possédaient 90% des médias américains en 1983. En 2011, ce chiffre est passé de 50 compagnies à 5 grandes compagnies, qui possèdent ce même 90% des médias. » « La concentration et la convergence dans les conglomérats nuisent à la qualité, à la diversité et, surtout, à l’intégrité de l’information, qui serait détournée du service public afin de satisfaire des intérêts particuliers.[5]»

Les villes contre les régions

L’élection de Donald Trump n’oppose pas tout d’abord la droite et la gauche, mais le monde urbain et le monde rural. Bien sûr, les habitants des grandes villes américaines sont généralement plus à gauche et davantage progressistes alors que ceux des milieux ruraux sont généralement plus conservateurs et chrétiens. Mais peu importe vos croyances religieuses, si on vous arrache vos emplois pour satisfaire les caprices des magnats de la haute finance, vous allez probablement voter pour celui qui vous promet de réparer ce gâchis.

Selon James G. Gimpel, Professeur de sciences politiques à l’Université du Maryland, les résultats de plusieurs élections aux États-Unis montrent « que de nombreux États sont eux-mêmes très divisés selon un axe qui oppose le monde rural et le monde urbain. (…) À de rares exceptions près, les grandes villes américaines apportent leurs voix aux démocrates et les campagnes aux républicains.[6]».

Dans cette élection, c’est le caractère fort de la désillusion économique qui a fait pencher l’électorat rural en faveur des républicains. Pourquoi? Parce que Trump a bien saisi cette réalité et a su l’exploiter à son avantage. Les Américains en colère de 2016 sont à peu de choses près les mêmes qui ont élu Obama lors de la crise financière de 2008, croyant que ce dernier allait s’occuper de leurs intérêts. Mais il ne l’a pas fait. Maintenant, pour eux, mieux vaut Président grossier, mais apparemment libre qu’une Présidente BCBG mais esclave des enjeux mondialistes.

Réal Gaudreault

[1] http://www.lapresse.ca/international/dossiers/maison-blanche-2016/201611/10/01-5039816-plus-de-la-moitie-des-femmes-blanches-ont-vote-trump.php

 

[2] http://www.asteur-amerique.org/?Emplois-industrie-americaine

 

[3] http://www.lopinion.fr/edition/economie/trumpisme-expression-d-classe-moyenne-abandonnee-114000

 

[4] La holding est une société qui a pour vocation de regrouper des associés ou actionnaires qui souhaitent acquérir une influence significative dans les sociétés détenues par celle-ci. http://www.lecoindesentrepreneurs.fr/la-holding/

 

[5] http://www.avoscerveaux.com/soc_medias.html#haut

 

[6] http://www.alternatives-internationales.fr/election-presidentielle-americaine—le-dessous-des-cartes_fr_art_645_34213.html

 

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2 Comments

  1. Bonjour Réal,

    En suivant ton article, tu as donné l’exemple de la fermeture d’une papeterie à Labaie. Il me semblait que l’industrie du papier aurait une tendance forte de déclin du au facteur des changements technologiques et des habitudes de vie. Bien que je trouve ton article très intéressant, ton exemple sur le moulin m’a fait un peu décroché. Il me semble que bien qu’on pourrait blâmer la mondialisation (à raison ou à tort) ça serait aussi et plus important selon moi une baisse drastique de la demande. Le contexte de la mondialisation aidant certe mais dont la destinée était inévitable.

    • L’objectif de mon article n’est pas de valider ou d’invalider la problématique de la mondialisation des marchés financiers, mais bien de montrer les effets pervers que cette condition économique mondialisante peut avoir sur une ville qui perd des emplois suite à fermeture d’usine, comme celle que nous avons vécu à La Baie en 2013. Et qui explique, en parti, le mécontentement des électeurs des régions rurales au USA.

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